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Histoire de la gravure au XVIIIeme siècle

Liste des thèmes abordés :

Les graveurs de la seconde moitié du XVIIème siècle : les Audran, Edelinck, Sébastien Leclerc

La gravure officielle

Watteau et son influence : Boucher

Les peintres graveurs

La gravure en manière de crayon en couleur

L'imitation des peintres en vogue

Les graveurs de portraits : les Drevet

Les graveurs amateurs

Les livres illustrés : Gravelot, Eisen, Marillier, Choffard


Les graveurs de la seconde moitié du XVIIème siècle : les Audran, Edelinck, Sébastien Leclerc

Durant les dernières années du règne de Louis XIV, l'art de la gravure, qui, sous ce grand règne, avait été si glorieusement représenté par les plus célèbres artistes que la France eût produits, était tombé dans une sorte d'abandon et de déchéance; non seulement le nombre des estampes en taille-douce, qui paraissaient chez les marchands de la rue Saint-Jacques, avait singulièrement diminué et diminuait de plus en plus tous les jours, mais encore parmi ces estampes nouvelles, on remarquait à peine quelques pièces importantes dues au burin des bons graveurs qui vivaient encore, ou sortant de leurs ateliers après leur décès; car la plupart des graveurs qui s'étaient fait un nom dans la seconde moitié du XVIIe siècle avaient déjà cessé de vivre, ou arrivaient rapidement, las et découragés, au terme de leur vie laborieuse. Le fameux Gérard Audran, le troisième de la dynastie des Audran, l'élève et l'ami de le Brun, mourut à Paris, en 1691, après avoir acquis la réputation du meilleur graveur d'histoire qui fût capable de reproduire magistralement par la gravure les grandes compositions de Poussin, de le Sueur, de le Brun et de Mignard. Antoine Masson, le merveilleux graveur de portraits historiques, était mort en 1702 onze ans après son digne collègue à l'Académie royale de peinture. L'illustre Gérard Edelinck, que Louis XIV avait naturalisé français en l'attachant avec son frère et son oncle aux travaux de gravure, sous les yeux du directeur des Gobelins, termina prématurément sa carrière, à l'âge de cinquante-six ans, en 1707, et l'inépuisable Sébastien Leclerc, en 1714, dans un âge beaucoup plus avancé, en laissant une oeuvre composée de plus de quatre mille pièces de tous genres. A cette époque, la plupart des graveurs étaient éditeurs et marchands d'estampes, et le tirage des planches gravées avait lieu à petit nombre, selon les besoins de la vente, ce qui permettait de conserver ces planches en bon état et de les réparer après chaque tirage. On s'explique ainsi comment les anciens cuivres pouvaient sans se détériorer, fournir à des tirages sans cesse répétés, à ce point que les gravures originales de Jacques Callot et d'Israël Silvestre donnaient encore des épreuves aussi belles que les premières. [retour en haut de la page]

La gravure officielle

Le caractère de la gravure française n'avait pas changé, parce que celui de la peinture et du dessin était resté le même. Les sujets religieux, tirés de l'histoire sainte et des évangiles, ainsi que la vie des saints, n'avaient pas cessé d'avoir la vogue; mais on faisait beaucoup moins de portraits d'apparat : les fortunes particulières ayant subi le contrecoup des désastres de la fortune publique, on avait supprimé les dépenses de luxe, entre lesquelles l'exécution d'un beau portrait gravé par un maître avait été longtemps une coûteuse satisfaction de vanité personnelle. On ne voyait plus, par exemple, un simple amateur d'art, comme l'abbé de Marolles, faire les frais de trois ou quatre grands portraits au burin qui se distribuaient à des amis. La mode des almanachs historiques représentant les faits principaux de l'année précédente, tels que cérémonies de cour et de ville, mariages, naissances, baptêmes, décès de souverains, rois et reines, princes et princesses, cette mode qui était devenue populaire en France depuis le règne de Louis XIII, s'était seulement restreinte; on ne publiait plus chaque année deux ou trois almanachs à images, de format grand in-folio; un seul suffisait, qui était mis en vente, à la fin de l'année, chez Moncornet, ou Langlois, ou Larmessin. Ces almanachs n'étaient pas ordinairement dessinés par de bons artistes, mais la gravure, qui s'exécutait très rapidement par plusieurs ouvriers travaillant à la fois, ne manquait pas d'expression et de relief; les têtes seules des personnages étaient traitées avec plus de soin que le reste et l'on y reconnaissait souvent la main d'un habile homme. Le goût des estampes topographiques, que Mathieu Merian avait mises en faveur dans le siècle précédent, ne s'était pas ressenti de la mort d'Israël Silvestre (1691), qui restait toujours le modèle du genre. Une espèce d'estampe qui, sans faire de progrès notables, tendait à se répandre dans la bourgeoisie comme dans l'aristocratie, c'était cette nombreuse série de figures de fantaisie qu'on appelait des Bonnart , et qui représentaient des costumes ou des types de caractères pris dans toutes les classes de la société. La famille des Bonnart avait mis en vogue, vers 1680, cette spécialité de gravures; elles obtinrent un si grand succès, que les éditeurs ne cessaient d'en faire de nouvelles : Henri Bonnart se chargeait surtout de la vente, et ses frères, ses fils et même ses filles coopéraient à la fabrication des estampes assez grossières, mais naïvement exactes, qui formèrent plus tard deux séries, l'une in-folio, l'autre in-4°, comprenant plus de 1300 pièces. L'intérêt de ces deux collections s'était accru depuis qu'on y avait ajouté les portraits en pied et en grand costume des personnages les plus considérables de la cour de France et des cours étrangères. Quant aux esquisses à l'eau-forte que certains peintres pouvaient faire eux-mêmes d'après leurs dessins ou leurs tableaux, elles n'arrivaient presque jamais dans le commerce, et elles ne furent recherchées que par quelques amateurs raffinés, qui voulaient avoir la pensée primesautière de l'artiste, au lieu de la reproduction froide et indécise de son imitateur. [retour en haut de la page]

Les ateliers et les familles de graveurs

De tous temps le graveur qui n'était pas peintre lui-même et qui se consacrait à traduire l'oeuvre d'un peintre, devait, pour ainsi dire, s'assimiler à ce peintre dont il gavait les tableaux. La gravure étant alors un art d'imitation et d'interprétation mécanique, et de chercher constamment des procédés nouveaux qui les rapprochaient le plus de la manière et du sentiment des peintres qu'ils se proposaient d'imiter et d'interpréter avec la pointe et le burin. C'est ainsi que le XVIIIe siècle comprenait l'application de la gravure à la peinture, et l'on voit, en effet, que d'après ce système aussi satisfaisant que logique, chaque peintre de talent appelait à lui quelques graveurs habiles qu'il façonnait à sa mode et qui devenaient ainsi, en gravant ses ouvrages, sous ses yeux et sous son influence, les reproducteurs fidèles, non seulement de son dessin, mais encore de son coup de pinceau, de sa couleur et de son style. La plupart des graveurs avaient appris leur art dans l'atelier de leur père ou de quelque artiste de leur famille; le fils, dans l'état de graveur comme dans les professions mécaniques, se faisait ordinairement le continuateur de son père et de ses aïeux : on comptait souvent, dans une famille de graveurs, cinq ou six générations d'artistes du même nom. Ce n'était pas sans difficultés qu'un graveur en réputation consentait à prendre chez lui, comme élèves ou apprentis, des jeunes gens dont il avait apprécié les heureuses dispositions. Beaucoup d'apprentis, d'ailleurs, restaient de simples ouvriers, quand ils ne pouvaient faire que des artistes subalternes; on les chargeait de travaux d'un ordre inférieur, dès qu'ils avaient appris à manier le burin, et ils ne sortaient plus de leurs attributions secondaires : on leur donnait à faire les fonds, les ciels, les terrains dans les planches où le maître se réservait exclusivement le travail des têtes, des mains, des étoffes et de toutes les parties difficiles de la gravure. Ainsi, dans les familles nombreuses des Poilly, des Picart, des Audran, des Drevet, des Cochin, si tous les membres de ces familles étaient employés à la fois dans l'atelier, il n'y avait que le fils aîné ou l'un des fils, qui devenait d'abord le collaborateur assidu de son père avant d'être appelé à l'honneur de le remplacer. Il arrivait donc bien rarement que les fils d'un graveur se montrassent rebelles à suivre la carrière héréditaire de leur famille, en laissant au plus habile d'entre eux la succession professionnelle de leur père.

Les graveurs au burin, qui travaillaient lentement à des estampes d'après les tableaux des anciens maîtres et d'après ceux des peintres d'histoire contemporains, n'étaient pas souvent récompensés par le succès de leurs oeuvres. Les deux frères François et Nicolas Poilly étaient morts avant 1700; mais les deux fils de ce dernier, François, mort en 1723, et Jean-Baptiste, mort en 1728, exécutaient encore de bonnes gravures d'après Dominiquin, Poussin et le Brun, Nicolas Pitau, un des bons imitateurs du vieux François Poilly, était mort dès 1670, mais son fils, mort en 1724, se distinguait, comme lui par la pureté du dessin, par la vigueur et la justesse de l'effet. Alexis Loir, frère du peintre Nic.-Pierre Loir, s'était fait connaître, entre tous, par sa manière large, facile, expressive, qu'il avait de varier lorsqu'il gravait d'après Jouvenet ou le Brun. Gérard Audran ne vivait plus, mais son nom et son art étaient encore dignement représentés par ses deux neveux, par ses deux élèves Benoît et Jean, morts en 1721 et 1756. Gaspard Duchange, sorti également de l'atelier des Audran, s'était fait le graveur privilégié du Corrège : ses travaux moelleux et harmonieux rendaient bien son modèle favori. Un autre élève de l'école d'Audran, Pierre Drevet, né à Lyon en 1664 et mort à Paris en 1738, eût été le premier graveur de portraits de son temps, si son fils (1697-1739) n'eût point assez profité de ses leçons pour le surpasser. Pierre Drevet, le fils, qui était déjà un graveur consommé à treize ans, atteignit la perfection dans la gravure finie et précieuse. Deux autres graveurs de portraits, François et Jacques Chéreau, exécutèrent, d'après Rigaud et Raoux, plusieurs gravures d'un très beau travail et d'une couleur très vigoureuse, en épargnant autant que possible les points entre les tailles du burin. Il faut citer encore, parmi les graveurs d'histoire qui se signalèrent dans la première moitié du siècle en maintenant les principes de l'école française du siècle précédent, Louis Desplaces, mort en 1739; Nicolas-Dauphin Beauvais, mort en 1763; Charles Simonneau, d'Orléans, mort en 1728; Frédéric Horthemels, mort vers 1740, qui abusa peut-être de l'usage des points ronds pour donner plus de moelleux à ses ouvrages. [retour en haut de la page]

Watteau et son influence : Boucher

Mais un changement caractéristique s'était produit dans la gravure, lorsque la régence eut emmené une transformation complète du goût. Cette transformation avait eu lieu d'abord dans les moeurs, quoique Watteau en ait pressenti les premiers symptômes, peu d'années avant la fin du règne de Louis XIV. Watteau, le peintre des fêtes galantes, avait certainement, dans ses spirituelles créations de la vie champêtre et théâtrale, deviné le joyeux passe-temps de la régence du duc d'Orléans. Watteau ne rêvait que danse, musique, plaisirs et mascarades, quand il improvisait, pour quelques écus, ces esquisses gracieuses, ces tableaux charmants, que Gersaint vendait dans sa boutique du pont Notre-Dame, que se disputaient les amateurs, et qui, pour la plupart, ne faisaient qu'apparaître en France, pour passer bientôt dans les collections de l'étranger. C'est alors que les graveurs s'efforcèrent à l'envi d'imiter le pinceau et la couleur de Watteau, afin de répondre à l'engouement du public élégant pour ce nouveau genre. Il y eut dès lors parmi les graveurs une concurrence effrénée dans la reproduction des délicieuses fantaisies du peintre favori de la régence. Il est probable que Watteau, qui travaillait pour autrui avec une incorrigible insouciance, qui faisait don, au premier venu, du chef-d'oeuvre qu'il venait d'achever, qui se laissait exploiter par ses meilleurs amis, alors qu'il vivait dans l'atelier de Gillot ou dans la famille de Claude Audran; il est probable que Watteau ne tirait presque aucun profit de la gravure de ses plus admirables tableaux, soit que ces tableaux eussent été acquis par les graveurs eux-mêmes ou par des marchands, soit que les grands seigneurs, qui avaient fait le succès de cette peinture galante et coquette, fussent devenus les heureux acquéreurs des plus beaux ouvrages de ce grand peintre. Et Watteau devait mourir à trente-sept ans, en 1721 ! Mais les graveurs les plus habiles participèrent au succès du peintre, de son vivant, et s'en attribuèrent l'héritage longtemps après lui; car ce succès avait été si général et si éclatant que les amateurs d'estampes ne voulaient plus avoir que des scènes pastorales, minuscules et théâtrales, traitées avec finesse et malice, dans un genre plus tendre et plus gracieux que libre et indécent. Entre tous ces graveurs qui s'efforçaient de s'approprier la légèreté et l'adresse du pinceau du maître par des tours de force de pointe et de burin, François Boucher, qui, tout jeune encore, avait vu Watteau dessiner et peindre, en devenant peintre lui-même, essaya de l'imiter sur le cuivre et la toile, quoiqu'il fût l'élève de François Lemoyne, qui subissait aussi à son insu l'influence de Watteau. Boucher traduisait donc à l'eau-forte les esquisses vives et délicates de ce crayon inépuisable, de ce pinceau magique; il copiait ainsi des costumes, des paravents, des écrans; plus tard, il employa le burin pour reproduire des tableaux terminés, tels que Pomone, la Guinguette , la Troupe italienne, le Dénicheur de moineaux, etc. Il avait été sans doute en relation personnelle avec Watteau, qui put lui donner des conseils et le mettre dans sa voie, puisqu'il grava le portrait du père de cet excellent peintre et qu'il composa, pour témoigner le regret de l'avoir vu mourir à la fleur de l'âge, un médaillon de Watteau, entouré des Grâces et des Amours qui versent des pleurs sur sa tombe. Quelques-uns des artistes qui gravèrent des compositions de Watteau, sous sa direction, étaient plus âgés que lui et connus par un genre de gravure sévère et correcte, laquelle n'avait aucune analogie avec la peinture chaude et libre de ce capricieux coloriste. C'était Louis Desplaces, Jean Moyreau, Charles Dupuis, Nicolas Tardieu, Louis Crépy, etc, tous accoutumés à graver d'après les maîtres de l'école académique. Ils se prêtèrent pourtant avec talent au goût du jour, et gravèrent d'après Watteau : Tardien élève de Lepautre et de Benoît Audran, grava l'Embarquement de Cythère et les Champs Elysées ; Moyreau, qui s'était fait une spécialité en gravant les oeuvres de Breughe et de Wouvermans, grava la Collation et la Partie carrée ; Desplaces, qui était épris de Jouvenet, grava ce que Watteau avait peint de plus sérieux, la peinture et la sculpture ; Crépy, qui avait gravé plusieurs grandes pages de Le Brun, grava la Perspective et les Délassements de la guerre. Tous s'y mettaient, les vieux et les jeunes : on demandait partout du Watteau; on ne gravait plus autre chose. Ceux qui devaient devenir des graveurs célèbres s'inspirèrent d'abord de Watteau. Nicolas de Larivesin, qui fut de l'Académie de peinture, débuta par l'excellente gravure des Pèlerins de l'île de Cythère ; Laurent Cars, né à Lyon en 1702, qui fut le graveur attitré des peintures de François Lemoyne, grava d'une manière exquise les fêtes vénitiennes et la Diseuse de bonne aventure; Bernard Lépicié, qui avait commencé par graver des maîtres italiens et hollandais, se fit graveur de portraits en gravant l'admirable portrait d'Antoine de la Roque et celui de Watteau, d'après lui-même; Louis Surugue, qui ne voulait demander ses modèles qu'aux maîtres vivants, s'était rapidement approprié le caractère des ouvrages de Watteau, en gravant les Amusements de Cythère et les principaux types de la Comédie italienne; Gérard Scotin, dont le talent recherchait les compositions gracieuses, avait gravé les Plaisirs du bal, la Cascade , le Lorgneur et La lorgneuse; enfin, Pierre Aveline, qui s'exerçait, tout enfant, dans l'atelier de sa famille, à graver des sujets de topographie, n'eût pas plus tôt acquis la libre disposition de son burin qu'il se mit à reproduire les plus jolies fantaisies de Watteau, l'Enseigne, l'Amante inquiète, l'Emploi du bel âge, et une foule d'autres. 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Les peintres graveurs

On n'aurait jamais fini si l'on s'attachait à énumérer toutes les gravures faites par tant d'artistes différents, d'après les nombreux ouvrages de Watteau; ces ouvrages, auxquels le peintre n'avait pas donné de désignation qualificative en les vendant à des éditeurs ou à des graveurs, tels que Baron, Chedel, Liotard, Michel Aubert, Eugène Brion, Louis Jacob, imitèrent tous ces jeunes artistes qui s'étaient formés à l'école de Watteau et qui se trouvaient préparés, par d'heureux essais, à entreprendre aussi la gravure des compositions de la même école. Lancret, Pater, Boucher ne manquaient donc pas d'interprètes intelligents qui aidèrent singulièrement à leur réputation en popularisant leurs peintures. Nicolas de Larmessin s'était, en quelque sorte, emparé de Lancret, et il gravait avec une fiévreuse promptitude tous les tableaux qui sortaient des mains de son peintre privilégié pour passer dans celles des riches amateurs; Pierre Filloeul avait aussi le monopole de la gravure des tableaux de Pater, que les curieux se disputaient à prix d'or pour l'ornement de leurs cabinets d'art. Boucher, qui eût été le meilleur graveur de ses tableaux, si la fanatique concurrence des tableaumanes lui eût laissé le temps de les graver, n'était pas en peine de trouver d'habiles et impatients burins qui se consacraient à la traduction la plus fidèle de ses innombrables ouvrages. A côté de Nicolas de Larmessin, de Pierre Aveline, de Jean-Baptiste Scotin, on voyait s'élever Claude Duflos, Louis Lempereur, Etienne Fessard et bien d'autres, Jean Daullé, par exemple, qui semble avoir été inspiré et formé par Boucher lui-même. Jean Daullé, né à Abbeville en 1711, élève de Robert Hecquet, se distingua par sa prodigieuse facilité, et traita en maître tous les genres de gravure, principalement le portrait, où il égalait presque Edelink. Jacques Beauvarlet, qui exécuta assez fidèlement, mais d'une manière très agréable, plusieurs estampes d'après Boucher, sortait, comme Jean Daullé, de cette école d'Abbeville, qui avait bien changé de système depuis Claude Mellan, mais qui excellait toujours dans le maniement du burin. Beauvarlet était justement fier de l'éclat de son travail et de la perfection de ses tailles, mais, en copiant les maîtres les plus disparates, il leur donnait une expression similaire, presque uniforme, et souvent il se permettait, pour conserver son style particulier, de modifier celui du peintre au point de le rendre méconnaissable : quand il grava l' Esther d'après de Troy, il agrandit les yeux et rapetissa les bouches dans les figures des femmes. Jean-Jacques Balechou, qui, de même que Beauvarlet, sacrifiait tout au brillant du burin, ne tint pas assez compte de ses modèles, lorsqu'il grava des marines d'après Joseph Vernet et des portraits d'après Aved, Raoux, de Troy, la Tour : il se préoccupait toujours de faire plus beau que nature. [retour en haut de la page]

La gravure en manière de crayon en couleur

Ce fut peut-être par défiance plutôt que par rivalité à l'égard des graveurs que beaucoup de peintres du XVIIIe siècle se mirent à graver eux-mêmes leurs dessins et leurs tableaux; ils gravèrent aussi d'après d'autres peintres. Michel Corneille gravait d'une manière moelleuse et avec beaucoup de goût; il savait manier le burin pour donner l'accord et la couleur aux travaux qu'il avait établis à la pointe; Louis Dorigny fut aussi un des plus savants graveurs qui aient associé la pointe au burin. Antoine Coypel s'adonnait avec succès à la gravure à l'eau-forte : son estampe de Démocrite, d'après un de ses tableaux est un chef-d'oeuvre plein de goût, de vie et de facilité. Claude Gillot, le maître de Watteau, n'était pas moins connu par ses estampes que par ses peintures. On le cite à bon droit comme un des graveurs qui ont eu le plus d'esprit dans la pointe, le plus de finesse dans la touche, le plus de piquant dans l'effet, sans avoir recours à une grande vigueur de ton et à toutes les ressources du clair-obscur. Les deux Nicolas Cochin, père et fils, tous deux infatigables et remarquables dessinateurs, tous deux membres de l'Académie de peinture, dessinaient, gravaient ensemble avec la même imagination, le même esprit, le même goût et le même talent. Subleyras s'était amusé à graver à l'eau-forte lorsqu'il était à Rome, et il avait merveilleusement réussi à se servir de la pointe, comme il faisait du pinceau. Enfin, François Boucher, qui eût été un graveur de premier ordre s'il n'avait préféré être un peintre célèbre ne se borna pas à graver à l'eau-forte différentes pièces d'après Watteau; il grava divers sujets d'après ses propres dessins, et un Livre d'étude , d'après les dessins originaux du vieux peintre hollandais Abraham Bloemaert. Les peintres graveurs, si habiles qu'ils fussent à employer la pointe ou le burin, n'étaient pas satisfaits des résultats de la gravure, pour la reproduction des dessins au crayon noir, et surtout au crayon de couleurs. La gravure en manière noire, inventée en Hollande au milieu du XVIIe siècle, introduite en France et perfectionnée par Isaac Sabarat et par le fameux amateur d'Aix, Boyer d'Aguilles, n'avait pas produit ce qu'on en attendait, car ce genre de gravure rendait mieux les effets du clair-obscur que la précision des contours et la finesse des dessins. C'est encore un Flamand, Gilles Demarteau, né à Liège en 1729, qui mit en oeuvre le procédé ingénieux, qu'un graveur Lorrain, Jean-Charles François, avait imaginé pour graver en fac-similé, à la manière du crayon, les dessins originaux exécutés et achevés de tant de façons différentes. Demarteau, dirigé, encouragé par François Boucher, qui le secondait certainement dans la reproduction de ses propres dessins, arriva bientôt à faire des fac-similés tellement exacts, qu'on ne pouvait plus distinguer l'original de la copie. Louis Bonnet, qui fit aussi des copies excellentes de dessins aux trois crayons de Boucher, ne s'arrêta pas dans cette voie, où il avait déjà surpassé Demarteau; il inventa la gravure au lavis ou le pastel en gravure et il donna comme spécimens de son ingénieuse invention, une quantité d'estampes en tout genres, exécutées, à la manière du pastel et du crayon de couleurs, par des procédés mécaniques. Janinet se distingua aussi dans l'aquatinte. La gravure au lavis de Louis Bonnet avait été précédée d'une autre espèce de gravure en couleurs, destinée à reproduire les tableaux peints à l'huile : un peintre de Francfort, Jacques-Christophe Leblond, se vantait d'avoir découvert et tenu secret ce procédé de gravure en couleurs dès le commencement du siècle; il alla successivement, pour trouver les moyens de le mettre en oeuvre, à Amsterdam, à Rome, à Londres, et enfin à Paris. Il était établi dans cette dernière ville, quand il y mourut en 1741, sans vouloir confier son secret à personne, après avoir gravé en couleur plusieurs très beaux portraits, entre autres celui du dauphin, fils de Louis XV. Les épreuves de ces portraits étaient même assez rares pour que cette curieuse invention restât presque ignorée. Elle fut reprise et renouvelée, peu d'années après sa mort, par un savant de Marseille, Jacques Gauthier d'Agoty, qui était anatomiste de profession, et qui devint graveur dans l'espoir de faire fortune. Leblond n'employait que trois couleurs dans ses portraits; Gauthier d'Agoty en adopta quatre : le noir, le bleu, le jaune et le rouge, qu'il regardait comme les seules couleurs primitives. C'est en 1749 qu'il annonça le nouvel art d'imprimer les tableaux avec quatre couleurs ; mais ses estampes étaient d'un dessin si imparfait, d'une teinte si sombre, d'une couleur si confuse et si fausse que cette invention, vraiment intéressante, fut abandonnée et tomba dans l'oubli. Jean-Charles François, qui était incontestablement le premier inventeur de la gravure en manière de crayon, avait attendu longtemps avant de pouvoir réaliser enfin les promesses de son invention, que Damarteau s'était appropriée en la perfectionnant. Il put enfin, en 1757, présenter à l'Académie royale de peinture plusieurs estampes fort habilement exécutées d'après sa méthode, et l'Académie reconnut que ce genre de gravure, en imitant la manière large du crayon, était «  très propre à perpétuer les dessins des bons maîtres et à multiplier les exemples de belles manières de dessin ». Grâce à cette déclaration de l'Académie, l'inventeur obtint une pension de 600 livres sur la cassette du roi, mais il ne donna pas suite à ces heureux essais, et renonça lui-même au bénéfice de son invention.[retour en haut de la page]

L'imitation des peintres en vogue

Tout nouveau peintre en vogue donnait naissance à une nouvelle école de gravure, car les graveurs qui travaillaient à reproduire ses tableaux, devaient innover dans l'art de la gravure et employer dans leurs travaux la manière la plus adroite de transporter sur le cuivre les procédés de peinture du maître et le caractère de son génie. Les graveurs d'histoire n'étaient pas toujours les graveurs de genre; les graveurs de portraits, les graveurs de paysages. Le graveur se voyait donc forcé de se transformer, et de changer ses habitudes de burin, selon le travail qu'il entreprenait. Le peintre aussi surveillait, dirigeait, appropriait ses graveurs à sa guise, et ceux qui suivaient le mieux ses conseils arrivaient aux meilleurs résultats dans l'imitation gravée de ses oeuvres peintes. Chardin eut ainsi de merveilleux interprètes dans Laurent Cars, Charles-Nicolas Cochin, Filloeul, Fessard, Surugue, et notamment Bernard Lépicié, qui grava le Toton , la Ratisseuse et la Gouvernante , d'après ses propres dessins, retouchés par Chardin lui-même. La mode est ainsi faite, que ces sujets vulgaires, dont la vérité naïve faisait le principal mérite, sans aucune invention, sans aucun sentiment, attirèrent et fixèrent un moment la préférence de ces amateurs mobiles qui s'étaient longtemps passionnés pour les élégances spirituelles et galantes de Watteau. Les estampes du Jeu de l'Oie , de la Mère laborieuse, de la Ménagère , ne troublaient pas les imaginations, il est vrai et n'offraient que des images décentes et presque austères auxquelles l'honnête bourgeoisie faisait bon accueil. Greuze, avec ses compositions dramatiques, sentimentales, gracieuses, toujours agréables et souvent émouvantes, eut aussi à ses ordres toute une armée de graveurs, qui voulurent avoir part à ses brillants succès, et qui ne contribuèrent pas peu à rendre ses ouvrages populaires. Ces graveurs avaient la plupart trouvé le moyen d'imiter, de rendre fidèlement sa manière de peindre, qui consistait à juxtaposer les teintes, sans les fondre l'une dans l'autre, en ménageant les empâtements et les demi-teintes. Les sujets traités par Greuze n'avaient rien qui choquât, à première vue, la pudeur la plus craintive, la moralité la plus sincère; mais à y regarder de plus près, on y découvrait de quoi satisfaire l'esprit, le coeur, l'imagination. Ces tableaux se vendaient à des prix énormes et ne paraissaient un moment au salon de l'Exposition de peinture que pour aller s'enfouir, comme des trésors, dans le mystère des collections particulières. Les belles estampes qui représentaient le plus exactement de pareilles peintures étaient bien faites pour intéresser toutes les personnes que l'oeuvre du peintre avait charmées. L'émulation fut grande entre les graveurs qui se partagèrent la gravure de ces petits drames domestiques et bourgeois que Greuze savait si bien composer. Jean-Jacques Flipart, élève de Laurent Cars, surpassa tous ses émules dans trois des plus importantes compositions du maître : l'Accordée de village, le Paralytique et le Gâteau des rois. Il s'était distingué de bonne heure par une manière large et moelleuse à la fois. Il s'étudia ensuite à faire de la gravure, à force de patience, une sorte de peinture monochrome, dans laquelle les hachures finissaient par disparaître, en s'harmoniant, au moyen de touches très fines à l'eau-forte. La Bonne éducation et La Paix du ménage furent gravées par P.-C. Ingouf; la Cruche cassée, la Dame bienfaisante et la Mère bien-aimée, par Jean Massard, le plus habile élève de J.-G. Wille; la Malédiction paternelle et me Fils puni, par Robert Gaillard; le Donneur de sérénade et le Geste napolitain, par Pierre-Etienne Moitte; le Testament déclaré, la Belle-mère , la jeunesse studieuse, par Jean-Charles Levasseur, qui appartenait à l'école d'Abbeville, où il était né. Enfin, Moreau le jeune, qui devait devenir le dessinateur le plus fécond et le plus exquis de son temps, étudiait le genre et le style de Greuze en gravant, concurremment avec Ingouf, le tableau de la Bonne éducation, lorsqu'il apprenait encore le métier de graveur dans l'atelier de Lebas. [retour en haut de la page]

L'école de Le bas

Jacques-Philippe Lebas, né à Paris en 1707, aussi bon graveur que dessinateur exercé, exécutait ou faisait exécuter, dans son atelier, une énorme quantité d'estampes de toutes espèces, depuis des frontispices et des vignettes de livres jusqu'à de grandes estampes d'histoire, depuis des vues et des moments jusqu'à des ex-libris de bibliophiles et des adresses de marchands. Ces travaux de commerce et de pacotille ne relevaient pas son nom, malgré son incontestable habileté, et il n'eût pas été admis à l'Académie de peinture, s'il n'avait présenté au concours, pour sa réception, un très beau portait di peintre Pierre-Jacques Cazes, qui lui servit de patron. L'atelier de Lebas, que MM de Goncourt, dans leur original et charmant ouvrage, l'Art au dix-huitième siècle , nous représentent comme « la véritable académie et la grande pension de la gravure contemporaine », avait vu passer, outre Moreau et Cochin, tout ce monde et tous ces noms de l'art, dessinateurs, peintres et graveurs : Liamet, Bacheley, Cathelin, Chenu, David, Duret, Ficquet, Gaucher, Godefroy, Guibert, Elmann, Julien, Laurent, Lemaire, Baquoy, Ouvrir, Filloeul, Lemire, Lemoine, Longueil, Maloeuvre, Martinasie, Née, Riland, le Suédois Rehn, l'Ecossais Strange, le Flamand Eisen. « Joyeux atelier, disent MM de Goncourt, sous ce joyeux maître, rond, bonhomme et narquois, qui, sans gronder et discuter, corrigeait et châtiait ses élèves avec un mot, un geste, une mine, une farce. « Vous méritez bien que je vous embrasse », était sa punition d'un mauvais dessin, d'une mauvaise planche; et l'embrassade comique ne manquait jamais son effet. Bonne école, bonne famille, où les élèves étaient comme les fils adoptifs de la maison ouvrière et animée de toutes ces jeunesses travailleuses. Le patron ne s'épargnait pas à l'ouvrage, et demandait que chacun piochât le cuivre, comme lui. Cet atelier patriarcal était le dernier vestige des anciennes maisons de graveurs de la rue Saint-Jacques, où le maître, entouré de ses élèves, récompensait les plus habiles en leur faisant l'honneur de les inviter à mettre la main à ses ouvrages. Presque tous les élèves de Lebas se firent un nom dans les arts, et quelques uns devinrent plus célèbres que leur maître, qui jouissait avec bonhomie de leur célébrité. [retour en haut de la page]

Les graveurs de portraits : les Drevet

Les peintres de portraits n'avaient pas, du moins, à se préoccuper de former des graveurs pour la reproduction de leurs peintures, car généralement, c'étaient des personnes qui avaient fait peindre leurs portraits, que les graveurs recevaient la commande des travaux à exécuter d'après ces portraits, peints ou dessinés. Il y avait donc de très bons graveurs de portraits qui s'étaient formés eux-mêmes, suivant leur goût et leur aptitude; les uns gravaient au pointillé, les autres en taille-douce, ceux-ci au burin pur, ceux-là à l'eau-forte. Tous ces graveurs étaient très prompts dans l'exécution de leurs ouvrages, qui, n'étant pas destinés au commerce pour la plupart, devaient répondre à l'impatience des intéressés. Pierre Drevet le père, le premier graveur portraitiste de son temps, s'était surtout attaché à la gravure des oeuvres d'Hyacinthe Rigaud et de Largillière, qu'il reproduisait avec autant d'ampleur que de finesse, en imitant le caractère distinctif de chacun de ces deux grands maîtres. Parmi les nombreux portraits qu'il a gravés, on distingue surtout ceux de Jean Forcat, d'André Félibien, d'Hyacinthe Rigaud, etc. Il mourut, en 1728, âgé de 76 ans, dans toute la force de son talent. Pierre-Imbert Drevet, élève de son père, ne lui survécut que dix mois et laissa les plus beaux portraits, exécutés avec les mêmes procédés de burin, mais avec plus d'art encore. Son chef-d'oeuvre est le portrait de Bossuet; on estime beaucoup aussi ses portraits de Samuel Bernard et d'Adrienne le Couvreur. On admire dans ses estampes le travail délicat des têtes et des mains, l'expression des physionomies et la richesse chatoyante des étoffes. Jacques Beauvarlet fit aussi de très beaux portraits, dont le plus célèbre est celui du peintre Bouchardon. Jacques Balechou rivalisait, dans le portrait, avec Beauvarlet, et celui de l'amateur M. de Julienne, d'après Jean-Baptiste de Troy, fut regardé comme un des meilleurs de l'époque. J. Daullé avait gravé d'abord, pour son coup d'essai, le célèbre portrait de la comtesse de Feuquières, par Mignard; il grava depuis Hyacinthe Rigaud peignant le portrait de sa femme , et il fut admis comme graveur de portraits à l'Académie de peinture. Un éditeur d'estampes, graveur lui-même, Michel Odieuvre, avait renouvelé l'entreprise des Bonnart, en faisant exécuter par différents artistes une collection de portraits historiques, à peu près de même dimension, pour former une collection destinée au public; et cette collection s'accrut depuis de celle qu'un autre éditeur, Etienne Descrochers, avait fait graver, dans le même but, depuis le commencement du siècle. Des collections analogues furent entreprises par Pierre-Charles et François-Robert Ingouf, qui n'avaient pour eux qu'une active facilité, et par Charles-Nicolas Cochin, qui donnait à ses figures représentées de profil dans des médaillons uniformes une sorte de similitude monotone et désagréable. Ces portraits se vendaient bien, et les acheteurs ne demandaient qu'à augmenter leurs collections, qui réunissaient souvent cinquante à quatre-vingt mille portraits historiques, comme celle de Févret de Fontette, à Dijon. Charles-Etienne Gaucher, élève de Lebas, donna satisfaction à la mode en gravant d'une pointe fine et légère un grand nombre de très petits portraits d'hommes célèbres; mais il fut bien surpassé par Ficquet et par Savart, qui gravaient à la loupe, et qui obtenaient ainsi des finesses de détails extraordinaires. Les portraits que Ficquet a gravés avec une habileté merveilleuse, notamment ceux de P. Corneille, de Racine, de Molière et de La Fontaine , sont des modèles inimitables de ce que le burin peut réaliser, à force d'adresse et de patience. [retour en haut de la page]

Les graveurs amateurs

Les graveurs amateurs étaient souvent très habiles, et leur nombre s'était accru de jour en jour, mais ils s'exerçaient plus volontiers à faire des eaux fortes que des gravures au burin. On peut citer, dans ce nombre, plusieurs peintres qui appliquaient ce procédé rapide à la reproduction de leurs propres ouvrages, Loutherbourg, Hubert-Robert Watelet, Desfriches, Carmontelle; le célèbre antiquaire Caylus était aussi un habile graveur amateur. Le burin avait été souvent manié très adroitement par des femmes : la marquise de Pompadour montra qu'elle avait su profiter des leçons de Boucher, en exécutant douze ou quinze planches d'après les pièces gravées de Jacques Guay, et en signant plusieurs eaux-fortes que son maître n'eût pas désavouées. C'est aussi parmi les artistes amateurs qu'il faut classer ce capricieux et spirituel Gabriel de Saint-Aubin, qui eut sans cesse, pendant quarante ans, le crayon ou la pointe à la main. Il travaillait, en général, à son heure, et suivant l'inspiration du moment; il fixait, en quelques instants, sur le papier ou sur le cuivre, l'idée, le sujet, qui l'avait frappé, et rarement il terminait les planches qu'il avait ainsi commencées sous l'inspiration de sa fantaisie. Les plus jolies pièces de Saint-Aubin sont les amusants croquis improvisés pour son caprice et son plaisir; plusieurs de ses estampes achevées, telles que la Foire de Bezons, l'Incendie de la Foire Saint-Germain , le Spectacle des Tuileries, furent très recherchées par les connaisseurs raffinés, mais il n'eut pas de son vivant, le succès et la réputation qu'il méritait. Son frère aîné, Charles-Germain de Saint-Aubin, qui dessinait des modèles de broderie, et qui reçut un brevet de dessinateur du roi « pour le costume moderne », était aussi, à ses moments perdus, un aquafortiste plein d'esprit et d'originalité. [retour en haut de la page]

Les livres illustrés : Gravelot, Eisen, Marillier, Choffard

La gravure française avait trouvé une nouvelle veine, qui enrichissait à la fois les dessinateurs et les graveurs, et qui poussait à la manie exagérée du goût des estampes destinées à l'ornement des livres. La Hollande lui avait donné l'exemple de ce système d'ornementation. Près Harrewin, Bernard Picart, fils et élève d'Etienne Picart, dit le Romain, qui avait bien profité des conseils de Le Brun, avait crée à Amsterdam une école de gravure, dont les travaux contribuèrent beaucoup à répandre la mode des livres accompagnés de frontispices gravés et de nombreuses figures. Les libraires de Paris ne pouvaient rester en arrière des libraires d'Amsterdam et de Bruxelles : ils publiaient donc aussi des éditions qu'on nommait alors historiées et qu'on nomme maintenant illustrées; Louis et Jean Audran, comme Sébastien le Clerc, s'étaient plus spécialement consacrés à la gravure pour les livres; Louis Scotin et Charles-Nicolas Cochin s'adonnèrent aussi à cette gravure de commerce, plus facile et plus productive que la grande gravure d'art. Le public ne tarda pas à s'engouer pour ces livres, dans lesquels l'estampe servait d'agréable accessoire à un texte imprimé avec soin sur papier blanc et lustré. Ce ne sont pas seulement des portraits et des figures qu'on réclame pour ces livres, où le plaisir des yeux devient le prélude du plaisir de l'esprit; ce sont aussi des ornements gravés, des fleurons et des culs-de-lampe, qu'on appellera vignettes , bien qu'ils représentent souvent des sujets et des scènes, au lieu de ces feuilles de vigne et de ces grappes de raisin, qui avaient dans l'origine formé de simples ornements d'imprimerie gravés sur bois ou fondus en métal. Les dessinateurs, dont l'imagination est prompte et vive, le crayon adroit et spirituel, la main leste et infatigable, se trouvent dans les meilleures conditions pour réussir dans un art plus usuel et plus lucratif que la peinture. Gillot, les Coypel, Boucher, Gravelot, ont compris aussitôt tout ce qu'ils pouvaient tirer de la vignette, et font pour les livres de véritables petits tableaux de genre, qu'une foule de graveurs habiles se chargent d'interpréter avec toutes les finesses du burin. Hugues Gravelot (né en 1699, mort en 1778), est surtout inépuisable; il traite avec la même perfection tous les sujets, tous les styles et il a ses graveurs accoutumés : Laurent Cars, Philippe Lebas, Claude Duflos, Choffard et Augustin de Saint-Aubin, qui métamorphosent ses dessins en gravures. C'est dans ces charmants dessins qu'il faut rechercher, avec leurs moindres détails, les moeurs et la physionomie intime du XVIIIe siècle. On ne peut assez admirer, comme le dit si bien M. le comte de Portalis dans son curieux livre sur les Dessinateurs d'illustrations du XVIIIe siècle , « ce qu'il y a d'observation juste de la nature et d'étude profonde du coeur humain » dans les dessinateurs de cette époque, qui représentent la grâce, l'élégance et l'esprit français. A côté de Gravelot, et des deux Cochins, à côté de Boucher, on voit surgir avec éclat deux dessinateurs accomplis, deux rivaux de même force, Charles Eisen et Moreau le jeune. Les graveurs, qui semblaient faits exprès pour ces charmants artistes étaient leurs camarades de l'atelier de Lebas. C'est ainsi que Lemire, B.-L. Prevost, A.-J. Duclos, Marillier, qui fut l'émule de Moreau, quittèrent le burin pour le crayon. La vignette était devenue la passion, la monomanie des librairies et des auteurs. Benjamin de Laborde, premier valet de chambre de Louis XV et fermier général, avait dû sacrifier cent mille livres, lorsqu'il fit illustrer, par Moreau jeune, le recueil de ses Chansons, et la compagnie des fermiers généraux, qui voulut avoir son édition des Contes de la Fontaine , immortalisée par les dessins d'Eisen et de Choffard, consacra au moins 250000 livres à ce caprice de grands seigneurs de la finance. Dorat n'eut point de cesse que ses poésies ne fussent animées de dessins d'Eisen, et il y dépensa la moitié de son patrimoine. Arnaud Baculard employa jusqu'à son dernier écu pour remplir de vignettes, dessinées par Eisen et Marillier, les douze volumes de ses oeuvres romanesques. Les libraires se ruinèrent aussi à ces folies de la vignette. « Tous les livres nouveau, disait en 1782 l 'auteur du Tableau de Paris, sont surchargées de gravures. Cette incision du cuivre occupe une foule d'artistes inutiles, qui usent leur vie et leur patience sur des objets indifférents et fastidieux... Les libraires peuvent s'intituler marchands d'estampes. L'auteur spécule aujourd'hui qu'en donnant tant au graveur, il gagnera telle somme sur les gravures ». Cette profusion de gravures, et de belles gravures, dans les livres, coûtait fort cher, en effet, et les gens riches pouvaient seuls se permettre un pareil luxe pour leurs ouvrages ou ceux de leur prédilection.[retour en haut de la page]

Les évolutions générales des techniques à la fin du XVIIIème siècle

On comprend que la gravure sur bois, aussi grossière et imparfaite que la pratiquaient encore les pauvres apprentis de l'atelier des Papilons et des Chéreau, ne pouvait plus être admise à l'ornementation des livres; on s'en servait à peine pour l'imagerie populaire, et les derniers tailleurs de bois renonçaient à leur métier improductif, au moment où les graveurs au burin et les graveurs en couleurs gagnaient tout ce qu'ils voulaient. La bourgeoisie, qui ne pouvait se donner des tableaux de maîtres, avait pris l'habitude de mettre sous verre, pour la décoration de ses appartements, quelques estampes gravées d'après Greuze, ou quelques vues des ports de France gravées par Balechou, Aliamet, Flipart, Lebas et Vivarès, d'après les peintures de Joseph Vernet. Ces estampes honnêtes, décentes et même morales, trouvaient beaucoup d'acquéreurs, et Greuze avait plus gagné à faire graver ses tableaux qu'à les peindre. Mais la vogue, une vogue peu estimable sans doute, s'attachait aux estampes en couleurs, qui amenèrent incontestablement la décadence de l'art, avant l'heure fatale de la révolution, et furent en même temps un triste symptôme de la perversion des moeurs. La gravure au crayon de Demarteau ne lui avait pas survécu (1776); la gravure au pastel de Bonnet était déjà presque abandonnée; la gravure au pinceau de Stapart n'intéressait qu'un petit nombre de curieux; mais la gravure au lavis, telle que Charpentier l'avait perfectionnée en 1763, telle que le Prince la perfectionnait encore dix ans plus tard, était appliquée à la reproduction de sujets gracieux et galants, qui avaient tant de charmes pour une société corrompue et dévergondée. Plusieurs dessinateurs de genre et de costume, le Prince, Lawreince, Debucourt, mirent en oeuvre, pour propager leurs compositions licencieuses ou humoristiques, ce procédé ingénieux, à l'aide duquel ils gravaient rapidement une planche imitant le lavis, soit au bistre, soit à l'encre de Chine, soit en couleurs, avec la même facilité qu'ils eussent lavé un dessin. Ces artistes de l'école immorale exécutaient de véritables aquarelles, qui ne coûtaient pas beaucoup plus cher que des estampes en taille-douce. On avait ainsi, à bon marché, tout un musée de peintures assez peu décentes, qui déshonoraient les arts du dessin et de la gravure.[retour en haut de la page]

Extrait de l'ouvrage de Paul Lacroix, "Peintres et graveurs", Paris 1888

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