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Portrait de Jean de La fontaine (1621-1695)

Biographie de Jean de La Fontaine (1621-1695)


Enfance et éducation de Jean de La Fontaine

Jean de La Fontaine, naquit à Château-Thierry le 8 juillet 1621. Le premier des poètes anciens et modernes dans un genre de poésie très agréable, non moins original par son caractère et sa conduite que par son talent et son génie, La Fontaine est un de ces hommes rares dont on admire les ouvrages, et dont on aime la personne. Le premier de ces deux sentiments fait lire sans cesse, et avec un plaisir toujours nouveau, ses inimitables productions ; le second fait rechercher avec empressement tous les détails, toutes les particularités de sa vie privé et littéraire. Cette disposition générale des lecteurs nous a engagé à lire avec soin tout ce qu'on a écrit sur l'histoire de ce grand et aimable poète, et nous autorise à l'écrire nous-même avec quelque étendue. Son enfance n'offrit rien de remarquable. Elevé par des maîtres d'école de village, son instruction fut très négligée, et ne fut guère perfectionnée à Reims, où quelques-uns veulent qu'il ait encore étudié. Cette circonstance, et peut-être aussi le caractère de son esprit, distrait, insouciant, paresseux, expliquent le phénomène d'un grand poète arrivé à l'âge de vingt-deux ans sans avoir laissé d'entrevoir aucune étincelle de son rare et heureux génie. Le talent de la poésie, surtout lorsqu'il est porté à un haut degré, est celui qui s'annonce le plus tôt, et qui se développe le plus rapidement dans un jeune homme. La Fontaine est une exception à cette règle assez générale. A l'âge de dix-neuf ans, il entra dans la congrégation de l'Oratoire ; il en sortit au bout de dix-huit mois : « et lorsqu'on aura vu quel homme c'était, dit l'abbé d'Olivet, on sera moins en peine de savoir pourquoi il en sortit, que de savoir comment il avait songé à s'assujettir aux règles d'une congrégation religieuse. » La solution de ce problème est pourtant bien simple : c'est que probablement il n'y avait pas songé.

Révélation littéraire de Jean de La Fontaine - Influences littéraires

Ce fut peu après sa sortie de l'Oratoire qu'un officier en garnison à Château-Thierry lut en sa présence l'ode de Malherbe sur l'assassinat de Henri IV. Saisi d'étonnement et d'admiration, il semble que La Fontaine se soit écrié, à l'imitation du Corrège : « Et moi aussi je suis poète ! » Dès cet instant, Malherbe fut sa lecture favorite, et même pendant quelque temps son unique lecture : la nuit, il l'apprenait par cour ; le jour, il allait le déclamer dans les bois. Bientôt il ne se contenta pas de le lire, de l'apprendre, de le déclamer, il essaya de l'imiter : mais son instinct et son goût l'avertirent bien vite que ce modèle, excellent à certains égards, n'était cependant pas celui qu'il fallait se choisir : le genre pompeux et quelquefois enflé de Malherbe est bien opposé en effet au goût naïf et gracieux de La Fontaine. « Il pensa me gâter », dit-il. Les grâces les plus simples et les plus naturelles de nos vieux auteurs luis inspirèrent un goût non moins vif et beaucoup plus constant. Il fut surtout charmé de Rabelais, qu'on a appelé la raison habillé en masque, et de Marot, dont il imita souvent, et perfectionna l'élégant badinage. Il se laissa aussi captiver par la galanterie des bergers de l'Astrée et les descriptions pastorales de ce long roman. Enfin Voiture, trop estimé alors, trop dédaigné peut-être aujourd'hui, fut un de ses auteurs de prédilection ; et il s'avoua le disciple de « maître Vincent » (Voiture), comme celui de « maître François » (Rabelais), et de « Maître Clément » (Marot). Dans la première chaleur de son enthousiasme pour Malherbe, il avait voulu l'imiter, et avait soumis ses premiers essais à son père, qui, passionné pour la poésie, quoiqu'il ne s'y entendit guère, et charmé de voir son fils poète, lui avait fort applaudi. Un de ses parents, nommé Piutrel, homme instruit, et de qui nous avons une traduction des Epîtres de Sénèque, lui applaudit aussi : mais à ses encouragements il mêla des critiques et surtout de très utiles conseils ; il lui donna entre autres celui de lire les anciens, de se pénétrer de leur manière noble et simple, et lui indiqua particulièrement Térence, Horace, Virgile, Quintilien, comme les meilleurs modèles et les meilleurs maîtres du goût. La Fontaine les lut et les admira. Pour mieux s'instruire à leur école, il ne dédaigna point le travail servile, mais utile, de la traduction ; et celle de « l'Eunuque » de Térence, qu'il fit imprimer à Reims en 1654, est le premier ouvrage qu'il ait publié. Il raconte lui-même une anecdote qui prouve tout le charme que lui faisait éprouver la lecture de ces grands écrivains de l'antiquité. Il voyageait dans une voiture publique : on s'arrête pour dîner ; pendant qu'on apprête le repas et qu'on sert, La Fontaine s'éloigne de l'auberge, tire un Tite-Live de sa poche, se met à le lire, et captivé par l'attrait de cette lecture, il oublie de dîner, malgré son appétit ordinairement fort grand ; enfin averti par un valet d'auberge, il rejoint ses compagnons de voyage, prêts à remonter en voiture. J'arrivai, dit-il plaisamment, « assez à temps pour compter ». « Nous ne saurions, dit-il dans une note de ses Fables, aller plus avant que les anciens ; ils ne nous ont laissé que la gloire de les bien suivre ». On voit si son humeur pacifique l'a empêché de prendre part à la vive querelle qui s'éleva de son temps sur la prééminence des anciens ou des modernes, il pensait néanmoins sur cette question comme Boileau et Racine : lui-même se croyait très inférieur à Phèdre, et l'on sait que Fontenelle disait que « c'était par bêtise » que La Fontaine se jugeait ainsi. Moins heureux à l'égard des écrivains grecs (dont il ignora toujours la langue, il ne put les lire que dans des traductions ; mais il eut un rare avantage de se les faire traduire quelquefois par Racine : il goûtait singulièrement Plutarque, et par-dessus tout Platon, qu'il appelle quelque part « le plus grand des amuseurs ». La plupart des maximes de politique et de morale qu'il a semées dans ses Fables sont tirées de ces deux écrivains. Elles étaient toutes notées de sa main, ainsi qu'une infinité d'autres passages sur les exemplaires qui lui avaient appartenus, et que l'abbé d'Olivet atteste avoir vus. La littérature italienne avait dès lors une réputation qu'elle n'a pas cessé de soutenir ; La Fontaine la préférait à la notre qui ne possédait encore presque aucun des chefs-d'ouvre qui l'ont enrichie depuis : il se « divertissait mieux, disait-il, avec les italiens, et il eut une prédilection particulière pour Machiavel, non sans doute comme écrivain politique, mais comme l'auteur ingénieux de « Belphégor » et de « la Mandragore » ; il n'en eut pas moins pour l'Arioste et Boccace, qu'il a si agréablement imités, et souvent si heureusement surpassés.

La carrière administrative de Jean de La Fontaine - Mariage

Quelque charmé que fût le père de la Fontaine de voir son fils cultiver les lettres et la poésie, il crut que le talent de faire des vers ne devait pas être l'unique occupation de sa vie, et il voulut lui donner un état. Pourvu de la charge de maître des eaux et forêts, il la fit passer sur la tête de son fils, et il le maria : La Fontaine prit avec une égale insouciance l'emploi et la femme qu'on lui donna ; il fut maître des eaux et forêts très négligeant et mari très indifférent. Sa femme, Marie Héricart, était cependant belle, aimable, spirituelle ; c'est un témoignage qu'il lui rend lui-même , et il la consultait quelquefois sur ses productions : mais, soit que quelques défauts de caractère se joignissent à ces bonnes qualités, soit que l'humeur de La Fontaine lui-même fût peu propre à ces vertus domestiques qui rendent un ménage heureux, il quitta bientôt sa femme qu'il ne vint plus visiter que de loin en loin, et pour vendre quelques pièces de terre, « mangeant son fonds avec son revenu », comme il le dit dans son Epitaphe, et dissipant ainsi son héritage, que sa femme dissipait aussi de son côté. Racine le fils raconte cependant un singulier trait de jalousie de ce mari si insouciant, si indifférent. Un capitaine de dragons, nommé Poignant, vieux militaire, voyait assidûment madame La Fontaine. La Fontaine ne s'en apercevait point, mais on l'en fit apercevoir, on lui persuada même que son honneur exigeait qu'il lui demandât raison de sa conduite. Préoccupé de cette idée le bon La Fontaine, qui aimait tant à dormir, se lève de grand matin, va trouver Poignant, le presse de s'habiller, de prendre son épée et de le suivre ; ils sortent, et ne sont pas plutôt hors de la ville que La Fontaine dit à Poignant, déjà fort étonné, et dont l'étonnement dut redoubler sans doute : « Il faut que je me batte avec vous ; on m'a assuré que je ne pouvais m'en dispenser ». Il lui en explique succinctement le motif, et sans lui donner le temps de répliquer, il met l'épée à la main. Poignant, forcé de se défendre, fait sauter d'un coup l'épée de La Fontaine, et profite de l'instant où son adversaire est désarmé et interdit pour entrer en explication avec lui, et lui faire sentir le ridicule de sa conduite. Il proteste au surplus que puisqu'il a pu troubler ainsi sa tranquillité, il ne remettra plus les pieds chez lui. « Au contraire, lui dit vivement La Fontaine, j'ai fait ce qu'on a exigé de moi ; mais actuellement je veux que vous soyez plus que jamais assidu chez moi ; sans quoi je me battrai encore ». La réconciliation fut entière et parfaite.

 

Une réputation littéraire grandissante - Fouquet

Quelques pièces de vers échappées au milieu de ces tracasseries domestiques la muse insouciante et paresseuse de La Fontaine lui avaient déjà fait quelque réputation, lorsque la duchesse de Bouillon, l'une des nièces du cardinal Mazarin, fut exilée à Château-Thierry. Les quatre sours Mancini aimaient la galanterie et les plaisirs ; elles aimaient aussi l'esprit, les lettres, la poésie, qui donnent plus de grâce à la galanterie, plus de délicatesse aux plaisirs. La duchesse de Bouillon accueillit La Fontaine ; et son imagination libre et enjouée encourageant le poète, lui suggéra, dit-on, l'idée de ses premiers contes. Lorsqu'elle revint à Paris, rappelée de son exil, elle amena avec elle La Fontaine, qui, à quelques courtes absences près, y passa les trente-cinq dernières années de sa vie. Un de ses parents, nommé Jannard, qui avait la confiance du surintendant Fouquet, l'introduisit auprès de ce magnifique Mécène, qui sut l'apprécier, et le plaça sur la liste nombreuse des pensions qu'il faisait aux hommes de mérite dans tous les genres : mais si la faveur et la prospérité de Fouquet répandirent sur La Fontaine quelques bienfaits passagers, l'exil et la disgrâce de ce ministre lui acquirent une gloire immortelle. Ne craignons point de répéter, après tant d'autres, que ce fut une époque honorable pour les lettres, puisque deux hommes qui les cultivaient avec tant de succès, loin de suivre la foule qui s'éloignait du ministre abattu et disgracié, se montrèrent fidèles au malheur, et pleins de courage dans leur reconnaissance. Pellisson fut éloquent dans ses plaidoyers et La Fontaine dans ses vers. « Il déplut à son roi, dit-il, parlant de Fouquet, ses amis disparurent, ou même l'accusèrent : « / Malgré tout ce torrent, lui donnai des pleurs ; / J'accoutumai chacun à pleurer ses malheurs ». Qui ne les eût pleurés en effet, en lisant cette élégie attendrissante, où La Fontaine demande au roi la grâce de son bienfaiteur, et ose lui dire qu'il doit l'accorder ! Tout le monde connaît cette belle et touchante élégie que La Fontaine fait soupirer aux nymphes de Vaux, et dans laquelle le charme des beaux vers s'accroît encore par le souvenir d'une action généreuse. On ne connaît pas aussi généralement une ode plus courageuse encore, dont les vers sont moins beaux, mais plus hardis ; elle est généralement adressée à Louis XIV. Mais ce n'est peut-être pas dans ces écrits publics et solennels, trop souvent monuments d'une reconnaissance fastueuse, qu'il faut chercher la plus touchante preuve de la sensibilité de la Fontaine et de sa reconnaissance pour Fouquet : c'est dans l'épanchement sans feinte et sans art d'une correspondance avec sa femme. Il accompagnait ce parent auquel il avait dû la connaissance et la protection du surintendant, et qui, partageant la disgrâce du ministre auquel il avait été attaché, était exilé à Limoges : il adressa dans plusieurs lettres la relation de ce voyage à sa femme. Privé de la protection de Fouquet, La Fontaine en trouva une plus éclatante dans la plus aimable princesse de la cour de Louis XIV, Madame Henriette d'Angleterre, qui lui donna dans sa maison une charge de gentilhomme ordinaire ; mais le poète perdit bientôt cette intéressante bienfaitrice.

Les protecteurs de La Fontaine - Madame de La Sablière

D'illustres protecteurs, à la tête desquels il faut placer le grand Condé, le prince de Conti, le duc de Vendôme, le grand Prieur, et surtout le duc de Bourgogne, dans un âge encore très tendre, surent, par leur bienfaits, préserver La Fontaine de cette détresse et de cette indigence où l'auraient infailliblement réduit son indifférence, son incapacité absolue dans les affaires les plus communes de la vie, et la mauvaise administration d'un patrimoine honnête, mais mal gouverné par sa femme, et vendu par lui pièce à pièce. Toutefois, les libéralités de ces illustres Mécènes eussent encore été insuffisantes. Aussi mauvais économe de leurs dons qu'il l'avait été de son fonds et de son revenu, il n'en réglait pas mieux l'emploi, les dissipait avec la même facilité, et retombait sans cesse dans les mêmes embarras. Une femme aimable et généreuse, madame de la Sablière, le mit à l'abri de ces tristes embarras, du moins pendant vingt années, sans doute les plus heureuses de sa vie, puisque, dégagé de toute inquiétude, il les passa au sein de l'amitié et dans le doux commerce des muses, qui, durant cette époque tranquille et fortunée, lui inspirèrent ses plus beaux ouvrages et assurèrent sa gloire et son immortalité. Elle l'accueillit chez elle, prévint tous ses besoins, et le dispensa de touts soins ; c'était assurément le plus grand service qu'elle pût rendre à un homme de son caractère. Rien n'exprime mieux l'extrême insouciance et la profonde incurie de ce caractère qu'un mot plaisant de madame de la Sablière. Elle venait de congédier à la fois tous ses domestiques : « Je n'ai gardé avec moi, dit-elle, que mes trois animaux, mon chien, mon chat et La Fontaine ». Le fabuliste songeait sans doute à l'amitié de madame de la Sablière lorsque dans une de ses fables il s'écriait avec un accent si tendre et si vrai : « Qu'un ami véritable est une douce chose ! / Il cherche vos besoins au fond de votre cour ». « Elle s'était chargé de son bonheur, dit un de nos écrivains ; il se chargea de sa gloire ». Il composa auprès d'elle la plupart de ses chefs d'ouvre ; il l'y nomma plusieurs fois, lui en dédia ou lui en adressa quelques-uns. Dans la postérité, le souvenir de madame de la Sablière s'unira à celui de La Fontaine ; et des vers immortels y peindront ses bienfaits, son esprit, ses grâces, « son art de plaire et de n'y penser pas » : c'est ainsi, pour nous servir de son expression qu'il lui « bâtit un temple dans ses vers ». Ce fut chez cette dame amie éclairée des lettres et de la philosophie, que La Fontaine connut Bernier. Il puisa dans les conversations de ce philosophe, disciple de Gassendi, des notions sur les sciences naturelles et physiques, aussi étendues qu'en avaient les personnes les plus instruites de son temps qui ne faisaient pas de ces objets leur principale ou seule étude. Il trouva dans son génie l'art de les exprimer en beaux vers, ainsi que l'attestent plusieurs de ses fables et son poème sur « le quinquina ». Il n'avait point de modèle en ce genre dans notre langue ; et, le premier de nos poètes, il a su revêtir les matières philosophiques des couleurs de la poésie.

L'Académie française - Boileau

Les portes de l'Académie ne s'ouvraient alors, même aux écrivains les plus illustres, que dans la maturité de l'âge ou dans la vieillesse. La Fontaine avait soixante-deux ans ; il avait publié tous les ouvrages auxquels il doit sa gloire et sa renommée. Ses premiers contes avaient paru en 1667 et 1669 : un second volume fut publié en 1671 ; il est à remarquer que toutes ces premières éditions étaient imprimées avec des privilèges. Le poème « d'Adonis », composé dès 1665, parut avec « Psyché » en 1669. La première édition des six premiers livres des « Fables » est de l'année précédente 1668 ; dix ans plus tard il donna au public les dix derniers livres. Le poème de la « Captivité de Saint-Malo » avait paru en 1673, le poème du « Quinquina » en 1682, et La fontaine n'était pas encore de l'Académie. Dans ce dernier poème, il fait honneur au quinquina de la guérison de Colbert, assez mal guéri sans doute, ou qui ne le fut pas pour longtemps ; car ce ministre mourut l'année suivante, et laissa vacante une place d'académicien. La Fontaine se mit sur les rangs pour la remplir ; Boileau fut son concurrent. La morale sévère de quelques académiciens reprochait justement au premier les traits libres et trop souvent licencieux de ses Contes. L'amour-propre chatouilleux d'un plus grand nombre ne pardonnait pas au second les traits mordants et quelquefois injustes de ses satires. Entre deux pareils concurrents qui pouvaient longtemps tenir les suffrages en suspens, on ne sera point surpris que les intérêts de l'amour-propre l'emportant sur ceux de la morale, aient fait pencher la balance. La Fontaine l'emporta, à une majorité de seize voix contre sept.

La Fontaine, l 'Académie et Louis XIV

Louis XIV, prévenu contre l'auteur des Contes, mécontent qu'on eût écarté Boileau qu'il honorait de sa protection particulière, ne s'empressa pas de donner son agrément à cette élection, et fit la campagne de Luxembourg sans l'avoir donné. Dans l'intervalle, M. de Bezons, membre de l'Académie, étant mort, Boileau fut désigné pour son successeur. Le roi reçut très bien la députation de l'Académie, qui lui en apporta la nouvelle. « Le choix que vous avez fait de M. Despréaux, lui dit-il, m'est fort agréable ; il sera approuvé de tout le monde : vous pouvez incessamment recevoir La Fontaine, il a promis d'être sage ». L'Académie, sans attendre le retour de Boileau, qui était en Flandre avec le roi, mit le plus flatteur empressement à recevoir La Fontaine ; il fut reçu le 2 mai 1684. On a reproché à Louis XIV les difficultés et les retards apportés à la réception de La Fontaine. Cependant un roi qui connaît toute l'importance des bonnes mours ne peut-il pas avoir de justes préventions contre l'auteur de contes qui souvent blessent et quelquefois outragent la morale ? Un roi ami des lettres ne peut-il pas choisir entre deux hommes qui les honorent, et qui illustrent également son règne ? Est-ce un Cotin que Louis XIV préférait à La Fontaine ? Heureux le prince qui peut choisir entre deux hommes tels que La Fontaine et Boileau ! On peut dire avec Chamfort, mais sans amertume comme lui, que Louis XIV était plus intéressé par la magnifique description du passage du Rhin, que par les débats de Janot Lapin et de dame Belette. Ce qu'on pardonnerait moins facilement à la mémoire de Colbert, dont La fontaine fut le successeur à l'Académie, et qu'il loua pendant sa vie et après sa mort avec la même effusion et la même franchise, se serait d'avoir, durant tout son ministère, fait expier à La Fontaine sa fidélité constante et son courageux attachement pour Fouquet, en le privant des grâces du monarque dont il était le dispensateur.

Les mérites littéraires de Jean de La Fontaine

Non seulement Louis XIV, mais le siècle tout entier auquel ce grand roi donne son nom, a été accusé d'avoir méconnu le mérite de La Fontaine. Cette accusation est injuste. Nous avons vu les personnages de cette cour brillante, les plus distingués par leur naissance, non moins illustres par leurs qualités personnelles, verser sur lui leurs dons, témoignages de leur goût pour ses ouvrages. Il compta parmi ses partisans et ses admirateurs les personnes qui, dans cette société si spirituelle, furent les plus renommés par la délicatesse de leur esprit ; le duc de la Rochefoucault, madame de La Fayette, Bussi-Rabutin, madame de Sévigné ». On reproche, il est vrai, justement à Boileau le silence que dans son « Art poétique », il a gardé sur l'apologue, genre si habile et si fort au-dessus de tant d'autres petits poèmes dont le législateur du Parnasse ne dédaigna pas de s'occuper, genre d'ailleurs si glorieux pour la France, qui peut se vanter de posséder le premier des fabulistes, si glorieux pour La Fontaine, qui est le premier de ces fabulistes. S'il est difficile d'excuser entièrement cet oubli, diminuons-en du moins la faute, en observant que La Fontaine n'avait publié que la moitié de ses fables en 1674 lorsque « l'Art poétique » parut. Mais il existe des témoignages de la justice que Boileau rendait à l'auteur des Contes et des Fables, dans la dissertation sur Joconde, dans la septième réflexion sur Longin, et dans des mots conservés par la tradition, tel que celui-ci, recueilli par la compilateur du « Boleoana » : « La belle nature et tous ses agréments ne se font sentir que depuis que La Fontaine et Molière ont existé ». Racine aimait et la personne et les ouvrages de La Fontaine. On voit ces deux illustres poètes entretenir un commerce de lettres lorsqu'un voyage les sépare, et Racine se plaindre agréablement quand cette correspondance est interrompue par la négligence et la paresse de La Fontaine, qui s'excuse plus agréablement encore. Les deux écrivains les plus originaux du siècle de Louis XIV, Molière et La Fontaine, étaient pleins d'estime et d'admiration pour leurs talents réciproques. Qui mieux que La Bruyère caractérisa le talent plein de charmes et de style inimitable de l'auteur des Fables et des Contes ? Fénelon, très rigoureux envers nos poètes et notre poésie dans sa lettre à l'Académie française, y parle très honorablement de La Fontaine ; et lorsqu'on se rappelle tout l'intérêt que lui témoigna le duc de Bourgogne encore enfant, n'est-il pas permis de croire que les sentiments et les bienfaits de l'illustre élève furent inspirés par l'illustre précepteur ? Ajoutons à ces noms célèbres les noms de Chapelle, de Chaulieu, de Lafare, du président Harlay, du savant Huet, et concluons qu'un poète n'est point méconnu lorsqu'il compte en sa faveur tant et de si glorieux suffrages ; ils entraînent celui du siècle, qu'il éclairent et dominent. Il faut encore placer au nombre des plus illustres amis et des plus grands admirateurs de La Fontaine, Saint-Evremont qui, après la mort de madame de la Sablière, voulut l'attirer en Angleterre, et lui en fit la proposition non seulement en son nom, mais au nom de madame de Mazarin, de la duchesse de Bouillon, et de plusieurs Anglais de distinction. Les bienfaits du duc de Bourgogne, en retenant La Fontaine dans sa patrie, sauvèrent à la France l'humiliation de voir un des écrivains qui l'honoraient le plus réduit à chercher une ressource et des secours chez une nation rivale.

La maladie, La Fontaine et la religion

Ce fut à peu près à cette époque (en 1692) que La Fontaine tomba dangereusement malade. Sans avoir été ce qu'on appelle un esprit fort, un incrédule, sa jusque là avait été peu chrétienne, et il avait enveloppé les devoirs qu'impose la religion dans cette insouciance qui lui était si naturelle. L'abbé Poujet, vicaire de Saint-Roch, et depuis membre de l'Oratoire, qui connaissait La Fontaine alla le voir comme remplissant un devoir de société plutôt que celui d'un ministre de la religion ; cependant, il amena insensiblement la conversation sur la religion et ses preuves : « Je me suis mis, dit alors, le malade avec sa naïveté ordinaire, à lire le Nouveau Testament ; je vous assure que c'est un fort bon livre. Oui, par ma foi ! C'est un bon livre ; mais il y a un article sur lequel je ne me suis pas rendu, c'est l'éternité des peines ; je ne comprends pas comment cette éternité peut s'accorder avec la bonté de Dieu ». L'abbé Poujet, homme d'esprit et bon théologien, discuta cette objection, et résolut la difficulté d'une manière qui satisfit La fontaine. Charmé du succès de cette visite, l'abbé Poujet lui en rendit deux par jour pendant tout le cours de sa maladie, qui fut longue, et chaque jour il fit de nouveaux progrès sur l'esprit d'un homme toujours vrai, toujours de bonne foi, et qui pensait moins à justifier sa conduite passée qu'à s'instruire et à se convertir. La Fontaine soumit facilement son esprit au joug de cette religion qui professaient alors si unanimement tant de grands hommes ses contemporains et presque tous ses amis. Il y eut cependant deux points sur lesquels l'avis de l'abbé Poujet lui parut un peu tyrannique ; il résista même longtemps avant de se rendre. Le premier était une satisfaction publique et une espèce d'amende honorable pour le scandale qu'avaient donné ses Contes ; l'autre, une promesse de ne jamais livrer aux comédiens une pièce qu'il avait récemment composée. Cette seconde décision surtout lui paraissait extrêmement sévère et tout à fait injuste ; il en appela, de l'avis de l'abbé Poujet, au jugement de quelques docteurs de Sorbonne : ce jugement ne lui fut point favorable, et alors sans balancer il jeta la pièce au feu ; on en ignore même le titre. Il s'était déjà rendu sur l'article des contes. C'est sans doute au milieu des débats animés qui résultèrent du sentiment impérieux de l'abbé Poujet et de la résistance un peu vive de La Fontaine qu'il faut placer le mot si connu attribué à sa servante ; « Eh ! Ne le tourmentez pas tant ; il est plus bête que méchant, Dieu n'aura jamais le courage de le damner ». Sa maladie prenant un caractère extrêmement grave, il reçut le viatique, le 12 février 1693, en présence d'une députation de l'Académie, qu'il avait désirée pour être témoins de ses sentiments et de son repentir ; il demanda publiquement pardon du scandale sont ses poésies trop libres avaient été la source. Le bruit de sa mort se répandit dans Paris ; cependant, il revint de cette maladie, et la première fois que depuis sa convalescence il se rendit à l'Académie, il y renouvela l'expression des regrets qu'il avait fait éclater en présence de la députation de corps, d'avoir employé ses talents à composer des ouvrages dont la lecture pouvait offenser la pudeur et les mours. Il promit de nouveau de les consacrer désormais à des sujets de piété ; et il y eut, comme le premier fruit de cet engagement, une paraphrase du « Dies Irae ».

Les dernières années et la mort de Jean de La Fontaine

Il trouva encore dans l'amitié un doux support aux infirmités et à la vieillesse. M. et madame d'Hervart, touchés de le voir, à son âge et avec son caractère, logé dans une maison étrangère et réduit à des secours mercenaires, résolurent de lui offrir un logement chez eux. M. d'Hervart sort pour lui en faire la proposition ; il le rencontre dans la rue : « Venez loger chez moi, lui dit-il - J'y allais », répond La Fontaine. Jamais la confiance de l'amitié ne s'exprima d'une manière plus simple et plus touchante. La Fontaine trouva dans cet asile toutes les douceurs qu'il avait éprouvées pendant vingt ans dans la maison de madame de la Sablière. Fidèle à sa parole, il s'occupa de traduire en vers français les Hymnes de l'Eglise. « J'espère, écrivait-il à un ami, que nous attraperons tous les deux les quatre-vingt ans, et que j'aurai le temps de finir mes Hymnes ». Cet ami était Maucroix, chanoine de Reims, que sa longue et constante amitié pour La Fontaine a immortalisé en l'associant à sa mémoire. Plusieurs témoignages du temps, et surtout un vers de Racine, attestent les austérités par lesquelles il voulut expier ses fautes à la fin de sa vie : « Et l'auteur de Joconde est armé d'un cilice ». Presque tous les biographes avancent sa mort d'un mois en la plaçant au 13 mars 1695. C'est le 13 avril de cette année qu'il mourut. Cette date est attestée par son confesseur l'abbé Poujet, par Perrault dans ses « Eloges des hommes illustres », et par Marais, philologue très instruit, très exact, et qui a fait des recherches curieuses sur la vie et les ouvrages de La Fontaine. Mais un témoignage plus irrécusable encore, c'est son acte mortuaire, dont nous avons une copie exacte, et qui porte la même date. Le même acte mortuaire réforme encore une autre erreur indiquant le cimetière des Innocents pour le lieu de sépulture. Tous les biographes sans aucune exception indiquent le cimetière Saint-Joseph, et l'endroit même où avait été placé, vingt deux ans auparavant, le corps de Molière son ami. Toutefois, comme leur opinion est aussi appuyée sur quelques actes publics, on peut la concilier avec le témoignage irrécusable d'un extrait mortuaire, en supposant que, peu après l'enterrement, le corps de La Fontaine fut transféré du cimetière des Innocents dans celui de Saint-Joseph, et placé à côté de Molière. La révolution, en donnant à ce dernier lieu de leur sépulture une autre destination ne sépara pas néanmoins les restes de ces deux amis. On vit longtemps leurs sarcophages à côté l'un de l'autre au musée de la rue des Petits Augustins. D'après les ordres du roi, ils furent transférés au cimetière du Père-Lachaise le 6 mars 1817, et le 2 mais de la même année placés dans de nouveau sarcophages, dont chacun, portant le nom de l'illustre écrivain qu'il recèle, est orné d'une courte inscription latine.

Le caractère hors norme de Jean de La Fontaine - Naïvetés et bévues

A jamais célèbre par son génie et ses ouvrages, La Fontaine l'est aussi par l'extrême simplicité de son caractère ; par la singulière naïveté de quelques-unes de ses questions ou de ses réponses, par la préoccupation habituelle de son esprit et les distractions plaisantes qui en étaient la suite ; enfin, par ces disparates et par ce contraste entre un talent qui produit des chefs-d'ouvre pleins de grâce, de finesse d'esprit, et un esprit souvent au-dessous du commun dans le monde, la société et les relations habituelles de la vie. Quelques hommes de génie ont réuni ces disparates, mais aucun à un aussi haut degré que La Fontaine. La Bruyère, qui rend à son talent et à ses ouvrages un si beau et si éclatant témoignage, va jusqu'à dire que dans la société il paraissait « lourd, grossier, stupide. » Louis Racine, sans se servir d'expressions aussi dures que La Bruyère, dit très positivement que La Fontaine ne portait aucun agrément dans la société. « Il n'y mettait jamais rien du sien, dit-il, et mes sours qui dans leur jeunesse, l'ont souvent vu à table chez mon père, n'ont conservé de lui que l'idée d'un homme fort malpropre et fort ennuyeux ; il ne parlait point, ou voulait toujours parler de Platon ». Le témoignage de l'abbé d'Olivet s'accorde avec ceux de La Bruyère et de Louis Racine. « A sa physionomie, dit-il, on n'eût pas deviné ses talents. Un sourire niais, un air lourd, des yeux presque toujours éteints, nulle contenance. Rarement il commençait la conversation et même, pour l'ordinaire, il y était si distrait, qu'il ne savait le plus souvent ce que disaient les autres ». L'historien de l'Académie ajoute, il est vrai que, lorsque la conversation s'animait, La Fontaine s'animait aussi ; ses yeux prenaient de la vivacité ; il paraît qu'alors il se mêlait à la discussion, qu'il citait les anciens, les citait à propos et leur prêtait de nouveaux agréments. C'est sans doute à ces heureux éclairs qu'il faut attribuer l'empressement avec lequel il était recherché par les hommes les plus aimables et les femmes les plus spirituelles de son temps. En vain on voudrait expliquer cet empressement par l'admiration due à ses écrits et à son génie. « La société, dit très bien un de ses panégyristes, n'admet que celui qui sait plaire, et les Chaulieu, les Lafare, avec lesquels il vivait familièrement, n'ignoraient pas l'ancienne méthode de négliger les personnes en estimant les écrits ». La Fontaine se rend lui-même un témoignage du droit qu'il avait d'être reçu partout, droit qui ne peut être fondé que sur l'agrément qu'il y procurait : voyez en quels termes il s'exprime dans une lettre adressée à madame la duchesse de Bouillon ; se relâchant un peu de son respect ordinaire pour les anciens, il s'y compare à Anacréon, et fait le même honneur au poète anglais Waller et à Saint-Evremont : « Qui n'admettrait Anacréon chez soi ! / Qui bannirait Waller et La Fontaine : ». Si quelquefois d'ailleurs, si souvent même dans la société il n'était point aimable, il n'y était jamais gênant ; il y portait un caractère facile et une charmante bonhomie. Rêveur et distrait, il n'exigeait point qu'on s'occupât de lui ; mais il fallait lui permettre aussi de ne songer guère à ceux qui l'entouraient : il rêvait à quelque idée dont il était fortement préoccupé, ou à quelque idée dont il était fortement préoccupé, ou à quelqu'un de ses auteurs favoris. Nous avons vu les sours de Racine se plaindre de ce qu'il parlait toujours de Platon ; d'autres auraient pu lui reprocher de parler toujours de Rabelais, qu'on l'accusait d'aimer follement. Se trouvant un jour chez Boileau avec plusieurs savants personnages, l'abbé Boileau entre autres et Racine, on parlait, avec un vif sentiment de respect et d'admiration, de Saint-Augustin et de ses ouvrages. La Fontaine, absorbé dans une profonde rêverie, semblait ne pas entendre. Tout à coup il sort cette espèce d'assoupissement, et s'adressant à l'abbé Boileau : « Croyez-vous, lui dit-il, que Saint-Augustin eût autant d'esprit que Rabelais ? » Le docteur reste d'abord interdit d'une question si inattendue ; il regarde le questionneur de la tête aux pieds, et se contente de lui dire pour toute réponse : « Prenez garde, monsieur de La Fontaine, vous avez mis un de vis bas à l'envers ; » ce qui était vrai. Dans la semaine sainte, Racine l'avait mené à Ténèbres, et pour l'occuper lui avait mis dans les mains un volume de la Bible. La Fontaine tomba sur la belle prière des juifs, sans le prophète Baruch. Plein d'admiration, il s'empressa de dire à Racine au sortir de l'office : « Quel était donc ce Baruch ? C'était un bien beau génie ». Et les jours suivants il disait à toutes, les personnes qu'il rencontrait : « Avez-vous lu Baruch ? C'était un bien beau génie. » Il est probable que, dans son esprit, Baruch allait alors de pair avec Platon et Rabelais : il confondait en effet assez facilement le sacré et le profane. Ayant introduit dans un de ses contes un moine qui fait une application indécente de ces paroles de l'Evangile : « Quique talenta tralidisti mihi, et ecce alia quinque superlucratus sum », il voulut dédier ce conte, comme un témoignage de sa reconnaissance, au docteur Arnauld, qui avait parlé avec éloge de ses fables. Boileau et Racine eurent de la peine à lui faire comprendre combien cette pièce offensait la religion, et combien sa dédicace offensait les bienséances. Il le comprit enfin ; il supprima même son conte ; et ce fut un sacrifice, car il le trouvait excellent. Les bienséances sociales ne lui étaient pas mieux connues, ou n'étaient pas mieux respectées dans ses distractions. Invité à dîner chez un financier qui était flatté d'avoir parmi ses convives un homme de son mérite et de sa réputation, il dîne très bien, ne dit mot, et en sortant de table il s'apprête à sortir de la maison ; on veut le retenir : « Il y a, dit-il, séance à l'Académie, et j'y vais. -Mais la séance ne commencera pas encore de longtemps. - Je prendrai le plus long, » réplique-t-il ; et il part. Avouons-le cependant, un pareil mot pourrait bien être moins une distraction, que la boutade d'un homme ennuyé de ses convives, ou voulant tromper l'attente d'un riche amphitryon qui ne l'aurait appelé à sa table que pour le donner en spectacle comme un homme célèbre. L'anecdote suivante pourrait bien aussi n'être qu'une plaisanterie. Ses amis, Racine entre autres, et Boileau, le déterminèrent à tenter un raccommodement avec sa femme. Il part, arrive à Château-Thierry, frappe à la porte de la maison : un domestique lui dit que madame de La Fontaine est au salut. Il va chez un ami, qui l'invite à souper ; il y couche, et repart le lendemain matin. Revenu à Paris, on s'informe du succès de son voyage. « Je n'ai point vu ma femme, répond-il, elle était au salut ». La Fontaine avait eu de cette femme, qui lui était devenue si indifférente, un fils qui, il faut l'avouer, ne lui fut guère moins indifférent. Elevé d'abord loin de lui par Maucroix, ensuite par les soins du président de Harlay, ce fils lui était inconnu et était à peu près sorti de sa mémoire. Il le rencontre un jour dans la société, cause avec lui sans le connaître, et lui trouve de l'esprit ; on s'empresse de l'avertir que c'est son fils. « Ah ! J'en suis bien aise » répond-il ; et la reconnaissance parut si bien se terminer là que l'ayant vu encore quelque temps après chez M. Dupin, docteur de Sorbonne, il ne le reconnut pas davantage, et une réponse encore plus froide au docteur qui le lui nomma. Il faut toute la bonhomie de La Fontaine pour qu'on lui ait pardonné tant de froideur et cette absence des sentiments les plus naturels. Il faut aussi toute l'indulgence que mérite un pareil caractère pour excuser le trait suivant. Le couvent des augustins, dans une querelle avec le parlement, soutenait un siège en règle contre les archers envoyés contre lui. On se lançait des pierres, on se tirait des coups de fusil. Un des amis de La Fontaine le rencontra sur le pont Neuf courant du côté de la bagarre, et lui demanda où il allait si vite : « Je vais, répondit-il, voir tuer des augustins ». C'était pour lui un spectacle comme un autre : les choses qui l'occupaient le plus vivement ne pouvaient ni fixer son esprit rêveur et préoccupé, ni prévenir ses distractions et ses négligences. S'il est une circonstance de sa vie où il ait montré un désir un peu vif et une sorte d'ambition avec quelque persévérance pour arriver à son but, c'est lorsqu'il sollicita une place à l'Académie. Alarmé de ne point obtenir l'agrément du roi pour sa réception, il lui adressa une pièce de vers afin de rassurer « ses Muses inquiètes ». Un de ses illustres protecteurs l'introduit auprès du roi, à qui il veut présenter lui-même sa pièce ; mais il la cherche vainement dans ses poches, il l'avait oubliée. « Monsieur de La Fontaine, ce sera pour une autre fois », lui dit Louis XIV avec une bonté charmante. Enfin il eut, dit-on, au sein même de cette Académie, une distraction dont les suites l'entraînèrent, malgré son caractère inoffensif et son humeur pacifique, dans une assez vive querelle. Mécontente d'un procédé de Furetière, l'Académie résolut d'exclure celui-ci du nombre de ses membres. L'exclusion fut prononcée par voie de scrutin. La Fontaine, lié avec Furetière, voulait lui être favorable ; mais il se trompa, et mit dans l'urne une boule noire au lieu d'une boule blanche. Furetière ne lui pardonna point cette distraction. Il publia, contre l'Académie, des mémoires dans l'un desquels il s'acharne surtout contre La Fontaine. Madame de Sévigné parle avec beaucoup de mépris et d'humeur de ce « vilain factum ». La Fontaine n'y fut pas insensible. Il fit une épigramme assez injurieuse. Furetière répondit par une épigramme assez grossière. La fontaine répliqua par un assez mauvais sonnet, et cette guerre de plume fut plus remarquable par l'aigreur et la violence que par la délicatesse et le bon ton. Le bon La Fontaine eut encore une autre querelle assez vive. Lully l'avait engagé à faire un opéra ; il lui demanda ensuite des changements, de nouvelles dispositions de scènes, des vers tantôt plus longs, tantôt plus courts, pour les rendre plus propres à la musique. La Fontaine travailla avec ardeur, se soumit aux caprices du musicien, qui tout d'un coup le planta là, et fit la musique d'un opéra de Quinault. Justement piqué, La Fontaine répandit « le peu qu'il avait de bile » comme il dit lui-même dans une satire intitulée « Le Florentin », où la bile ne manque point ; mais il s'apaisa bientôt, et fit même, peu de temps après, deux pièces de vers que le musicien lui demanda pour présenter au roi deux partitions d'opéra. Ce serait oublier un des traits distinctifs du caractère de La Fontaine que de ne point parler de son goût pour le repos et le sommeil. Il nous apprend lui-même par son épitaphe, que, dans la distribution de son temps, « deux parts en fit » pour le leur consacrer. Il y a une verve de sentiment dans ces deux vers d'un prologue de ses contes : « Ah ! Par Saint-Jean ! Si Dieu me prête vie, / Je le verrai ce pays où l'on dort ! »

Epilogue - Les oeuvres de Jean de La Fontaine

Tel fut La Fontaine, original dans son caractère comme dans son génie, plein de bonhomie et de simplicité dans ses actions, de franchise et de vérité dans ses discours. « La Fontaine, disait madame de la Sablière, ne ment jamais en prose. » Comme homme, il a mérité, dit l'abbé d'Olivet, que sa mémoire fût sous la protection de tous les honnêtes gens ; comme poète, son génie et ses ouvrages feront toujours les délices des gens de goût ; ses contes sont des modèles, ses fables sont des chefs-d'ouvre. La morale, offensée par un grand nombre d'images trop libres et même par un petit nombre de tableaux licencieux, réprouve le premier de ces deux ouvrages. Persuadés que les plaisirs de l'esprit et du goût sont payés trop cher lorsqu'ils sont achetés aux dépens de la morale, nous nous abstiendrons de louer ce qu'elle condamne. D'ailleurs, au talent de la narration près, qui se fait encore plus remarquer dans le conte que dans l'apologue, tous les agréments, tous les charmes, toutes les beautés de style que nous trouverions dans les contes de La Fontaine, nous les retrouverons dans ses fables, où nous pourrons les louer avec encore plus de justice et un sentiment plus vif d'admiration, parce que ces qualités y sont plus parfaites, et sans encourir aucun blâme, ni craindre aucun reproche, puisque loin de parer des sujets dangereux, elles ornent et embellissent des instructions utiles. Avant La Fontaine, rien ne paraissait plus borné que le genre de l'apologue. Ses premiers inventeurs, n'y voyant que le but moral, se hâtaient de l'atteindre avec une concision sévère et un laconisme souvent très sec. Phèdre y ajouta, avec sobriété, quelques ornements, ceux principalement d'un style pur et élégant. La Fontaine les y répandit avec une admirable richesse. Ce cadre, jusque là si étroit, s'agrandit sous ses mains ; et la fable devint un petit poème qui admit tous les tons, toutes les couleurs, et pour ainsi dire tous les agréments des autres genres. La poésie épique y reconnut ses récits et ses caractères ; la poésie dramatique, ses acteurs, ses dialogues et ses passions ; la poésie légère, son badinage et son enjouement ; la poésie philosophique et morale, son instruction et ses leçons. La simplicité s'y trouve unie à la force, à l'élévation, à la noblesse ; la naïveté à la finesse et à l'esprit. Madame de la Sablière disait à l'auteur de ces fables charmantes : « En vérité, mon cher La Fontaine, vous seriez bien bête si vous n'aviez pas tant d'esprit ». L'esprit est en effet une des qualités les plus remarquables des compositions du bon homme. Rien n'est plus frais et plus gracieux que pinceau quand il veut peindre des objets doux, aimables et riants : ailleurs, c'est la grâce, ou la justesse, ou le comique des rapprochements qui viennent agréablement surprendre le lecteur. A la variété des pensées, des sujets, des couleurs, il a joint la variété non seulement des styles, mais celle de la coupe et de la mesure des vers. Il y a beaucoup d'art à cela, quoique l'art disparaisse sous les apparences mêmes de cette facilité. Il est indubitable que La Fontaine travaillait beaucoup ses fables ; il ne faut donc pas prendre au pied de la lettre le nom de fablier que lui donnait la duchesse de Bouillon, comme s'il avait produit des fables par instinct, et pour ainsi dire sans y penser, de même qu'un arbre porte naturellement des fruits. C'est par cette réunion de qualités singulières et éminentes que La Fontaine, sans avoir presque rien inventé, a mérité d'être regardé comme le plus original de nos poètes. « Il n'a rien inventé, dit judicieusement La Harpe ; mais il a inventé son style, et son secret lui est demeuré ». En imitant les autres, il est devenu « inimitable » ; et c'est lui particulièrement et peut-être lui seul que cette épithète désigne. Nous nous étendrons peu sur les autres ouvrages de La Fontaine. Nous avons indiqué par leurs titres ses divers poèmes : nous ajouterons seulement l'un d'eux, les « Amours de Psyché », écrit en prose mêlée de vers, et imité d'Apulée, est un très agréable ouvrage ; il est un peu long, mais il est rempli de détails gracieux et charmants. La Fontaine a fait aussi, sans compter « l'Eunuque », imitation de Térence, quatre comédies, dont une seule, « Le Florentin », est restée au théâtre ; deux mauvais opéras ; un assez grand nombre d'odes assez mauvaises ; des élégies médiocres, dont une toutefois, sur la disgrâce de Fouquet, est non seulement un bon ouvrage, mais une bonne et généreuse action ; des ballades, des rondeaux, des triolets, vieux genres de poésie, dont le style naïf lui plaisait comme celui de nos vieux auteurs ; des épîtres, des madrigaux et même des épigrammes, etc., enfin, la paraphrase du Psaume 17 insérée à la fin du « Recueil de poésies chrétiennes », Paris, 1670, in-8°. On sait que madame de Sévigné, mécontente de le voir ainsi voltiger de sujet en sujet, et abandonner un genre dans lequel il excellait pour en cultiver d'autres où il réussissait moins bien, ou même tout à fait mal, aurait voulu faire une fable pour lui prouver combien la manie de vouloir chanter sur tous les tons forme une mauvaise musique ; mais La Fontaine n'avait pas besoin de cette fable ; il s'accusait lui-même, et s'excusait d'une manière charmante dans des vers où il s'avoue « papillon du Parnasse », et ajoute : « Je suis chose légère, et vole à tout sujet. / J'irai plus haut peut-être au temple de Mémoire, / Si dans ce genre seul j'avais usé mes jours ; / Mais Quoi ! Je suis volage en vers comme en amours. / » Il se console, avec une douce et aimable philosophie, du temps qu'il a mal employé pour sa gloire, et même de celui qu'il a perdu ; il ne veut point en « consumer le reste » à se plaindre, « Et, prodigue du temps par la Parque attendu, / Le perdre à regretter celui qu'il a perdu / »

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L'Eunuque, de Térence (adaptation), 1654

Adonis (manuscrit), 1658

Le songe de Vaux, 1658

Les rieurs du Beau-Richard, 1660

Elegies aux nymphes de Vaux, 1662

Relation d'un voyage de Paris en Limousin, 1663

Ode au roi, 1663

Nouvelles en vers tirées de Boccace et de l'Arioste, 1665

Contes et Nouvelles en vers (2ème partie), 1666

Traduction de citations en vers de "La Cité de Dieu" Saint Augustin, 1665-1667

Fables choisies et mises en vers par M. de La Fontaine (livres I à VI), 1668

Les Amours de Psyché et de Cupidon, 1669

Adonis, 1669

Contes et Nouvelles en vers (3ème partie), 1671

Recueil de poésies chrétiennes et diverses, 1671

Elégies à Clymène, 1671

Poème de la captivité de Saint-Marc, 1673

Lettres à Turenne, 1674

Nouveaux contes (édition clandestine), 1674

Pièces de circonstance sur la Paix de Nimègue, 1678

Fables choisies et mises en vers par M. de La Fontaine et par lui revues (livres VII à XI), 1678-1679

Epîtres de Sénèque (traduction des "Lettres à Lucilius", en collaboration), 1681

Poème du quinquina et autres ouvrages en vers, 1682

Daphné et Galatée, 1682

Achille, 1682

Le Rendez-vous, 1683

Discours à Madame de La Sablière, 1684

Comparaison d'Alexandre, de César et de Monsieur le Prince, 1684

Ragotin, 1684

Philémon et Baucis, 1685

Les filles de Minée, 1685

Cinq Contes, 1685

Le Florentin, 1686

Epître à Huet, 1687

La Coupe enchantée, 1688

Astrée, 1691

Remarques adressées à Maucroix sur sa traduction d'Astérius, 1694

Fables choisies (livre XII), 1694

Les Oeuvres posthumes de M. de La Fontaine, 1696

Pièces de théâtre posthumes, 1702

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