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Portrait de Jean-François Marmontel (1723-1799)

Biographie de Jean-François Marmontel (1723-1799)


1. Origines, éducation et jeunesse de Jean-François Marmontel

Jean-François Marmontel naquit le 11 juillet 1723 à Bort, petite ville du Limousin, de parents peu aisés et d'une condition obscure. Des religieuses lui apprirent à lire, un prêtre lui donna gratuitement les premières leçons de latin. Ce fut à Mauriac en Auvergne, dans un collège tenu par les Jésuites, qu'il fit ses humanités, depuis la quatrième jusqu'à la rhétorique inclusivement. Son père, le destinant au commerce, le plaça chez un riche marchand de Clermont; mais l'amour de l'étude ne pouvait se concilier avec l'assiduité qu'exige le comptoir. Il fallut opter : le cours de philosophie l'emporta; en le suivant l'élève pourvut à sa subsistance par des répétitions que lui payaient d'autres écoliers. Après avoir reçu la tonsure à Limoges des mains de l'évêque Coëtlosquet, il se rendit à Toulouse avec le projet d'entrer dans la société des jésuites, où ses anciens régents s'efforçaient de l'attirer. Les prières et les larmes de sa mère ne lui permirent pas d'exécuter ce dessein. Venant de perdre son mari, elle plaçait sa confiance dans les talents d'un fils, l'unique espoir de sa famille. Avant l'âge de dix-huit ans, Marmontel suppléait déjà le professeur de philosophie dans un séminaire que les Bernardins avaient à Toulouse. Le succès avec lequel, malgré son extrême jeunesse, il remplit cette chaire lui valut un si grand nombre de disciples à répéter, qu'il put dès lors commencer à mettre ses parents dans une sorte d'aisance en leur envoyant le fruit de ses économies. Aux jouissances les plus douces pour un coeur honnête, il voulut joindre l'éclat de la gloire littéraire; il adressa donc à l'académie des jeux floraux une ode sur "L'invention de la poudre à canon"; mais elle n'obtint pas même le consolant honneur de l'accessit. "Je fus outré, dit-il, et dans mon indignation j'écrivis à Voltaire et lui criai vengeance... Il me fit une de ces réponses qu'il tournait avec tant de grâce et dont il était si libéral... Ce qui me flatta beaucoup plus encore que sa lettre, ce fut l'envoi d'un exemplaire de ses oeuvres, corrigé de sa main, dont il me fit présent... Ainsi commença (1743) ma correspondance avec cet homme illustre et cette liaison d'amitié qui, durant trente-cinq ans, s'est soutenue jusqu'à sa mort sans aucune altération" ("Mémoires", liv. 2, p. 100, 1818). Dans la suite, Marmontel concourut plus heureusement pour les Jeux Floraux : il y remporta même trois prix la dernière année de son séjour à Toulouse (1745). Les préventions que l'on avait inspirées contre lui à l'archevêque Laroche-Aymon le dégoûtèrent de l'état ecclésiastique, pour lequel ses nouveaux rapports avec Voltaire n'avaient pas dû fortifier sa vocation. Ce dernier l'appelait sur un plus grand théâtre. "Venez, lui écrivait-il, venez sans inquiétude; M. Orri, contrôleur général, à qui j'ai parlé, se charge de votre sort." Aussitôt sa résolution fut prise; ses amis l'accompagnèrent jusqu'à Montauban, où il reçut un prix que l'académie de cette ville lui avait décerné et qui consistait en une livre d'argent de la valeur de cent écus. Pendant le voyage, il traduisit en vers le poème de la "Boucle de cheveux enlevée", par Pope; amusement dont le produit fut bientôt pour le traducteur d'une grande utilité. Arrivé à Paris, ses illusions de fortune ne tardèrent pas s'évanouir. Voltaire lui apprit la disgrâce de M. Orri, lui fit des offres généreuses, et l'engagea à composer une comédie. "Hélas ! monsieur, répondit sensément le jeune provincial, comment ferais-je des portraits ? Je ne connais pas les visages." Sans se laisser abattre par l'adversité, il puisa toutes ses ressources au sein des privations et d'un travail assidu.

2. Premiers succès de Marmontel

L'Académie française lui décerna le prix de poésie sur ce sujet : "La gloire de Louis XIV perpétuée dans le roi son successeur" (1746). L'année suivante, pareil honneur fut accordé à une ode de sa composition dont le sujet était analogue au précédent : "La clémence de Louis XIV est une des vertus de son auguste successeur". Ces triomphes l'affermirent encore dans sa noble constance. Vers le même temps, il achevait l'éducation du fils d'un directeur de la compagnie des Indes nommé Gilly, et il écrivait la tragédie de "Denys le Tyran", jouée le 5 février 1748. Cette pièce est d'un faible intérêt, quoique remplie de situations terribles; elle eut néanmoins tout le succès que peut obtenir le début d'un jeune homme dont le public se plaît à exciter l'émulation. Le poète fut demandé par le parterre : c'était le second exemple d'une semblable faveur; le premier avait été donné à la représentation de "Mérope". Marmontel dédia son coup d'essai à Voltaire, son maître et son appui; dans l'épître qu'il lui adresse, il exalte ses regrets sur la perte récente de l'intéressant Vauvenargues, "l'homme du monde, dit-il, qui a eu pour moi le plus d'attrait" ("Mémoires", liv. 3, p. 133). La tragédie d'Aristomène, jouée le 30 avril 1749, ne fut pas moins applaudie que celle de "Denys"; la diction n'en est guère plus attachante et les caractères n'en ont guère plus de vérité. "Cléopâtre" eut en 1750 onze représentations; plus de trente ans après, ayant été refaite d'un bout à l'autre, elle reparut sur la scène en 1784, et fut accueillie avec moins d'empressement qu'elle ne l'avait été d'abord. L'auteur attribue l'indifférence des spectateurs à la simplicité de son action, qui ne pouvait être appréciée que par un petit nombre d'amis des lettres. Etrange illusion de l'amour propre ! La véritable cause de cette indifférence existe dans le vice du sujet; l'artificieuse Cléopâtre ne saurait inspirer d'intérêt; l'aveugle et méprisable Antoine n'en est pas plus digne; Octavie, par sa vertueuse résignation, dégrade encore ces deux personnages. En vain, pour les ennoblir, le poète leur prête des sentiments élevés; une histoire aussi connue ne comporte pas une altération complète. Un bon mot, attribué à diverses personnes, fit peut-être changer le premier dénouement, dans lequel on voyait un aspic automate, fabriqué par Vaucanson, qui sifflait en piquant l'héroïne. On demandait à l'un des spectateurs ce qu'il pensait de la pièce : "Je suis, répondit-il, de l'avis de l'aspic". Les "Héraclides", sujet traité par Euripide, offrent le plan le plus régulier qu'ait tracé Marmontel; les sentiments y sont naturels, les incidents bien ménagés; parmi des vers d'un ton souvent noble et simple, il en est quelques-uns de fort beaux. Le style, que depuis il a beaucoup retouché, avait de grandes négligences; mais ce fut bien moins ce défaut que l'état d'ivresse dans lequel se trouva mademoiselle Duménil en jouant le rôle de Déjanire. Ayant à choisir entre le pathétique de cette tragédie et la fausse grandeur de "Cléopâtre", il est étonnant que l'auteur ait donné la préférence à la dernière lorsqu'il voulut se reproduire sur le théâtre. "Egyptus", joué en 1753, ne fut point imprimé. La pièce tomba le public s'étant ennuyé de n'être point ému. "Numitor" n'a pas subi l'épreuve de la représentation. Cet ouvrage fut composé dans la pleine maturité du talent. La fable en est un peu hasardée, puisque c'est le même fond que celui du conte de La Fontaine intitulé "le Fleuve Scamandre"; mais il y a des situations fortes, qui sans contredit sont ce que Marmontel a conçu de plus tragique. Laharpe, dont l'indulgence n'était pas le partage, voudrait que l'on fit l'essai de cette pièce au théâtre, et que l'on y remit les "Héraclides", qui mériteraient d'y rester ("Cours de littérature, t. 12). Aucune des tragédies de Marmontel ne fait partie du répertoire; il rejette l'oubli dans lequel on les a laissées sur l'animosité de Lekain, qui refusait d'y prendre un rôle. D'après ce qu'il dit dans sa préface, ce grand acteur ne lui pardonna jamais l'article "Déclamation" dans l'Encyclopédie"; article où, par des observations générales, mais une application facile, on signale sans ménagement les défauts qui se remarquaient en lui au commencement de sa carrière.

3. Les tourbillons du monde - Les protecteurs de Marmontel - Les Contes moraux

Dans le tourbillon du monde, Marmontel n'évita pas toujours l'écueil du plaisir et de la dissipation. Il s'engagea dans des liaisons intimes avec deux maîtresses du maréchal de Saxe, mesdemoiselles Navarre et Verrière. Quoique le héros les eût délaissées, il souffrit impatiemment qu'un "petit insolent de poète" le remplaçât auprès d'elles. Pour se soustraire au ressentiment du vainqueur de Fontenoy, le poète accepta l'asile que le fastueux Lapopelinière lui offrit dans sa maison de campagne à Passy. Ce financier voulant le fixer auprès de lui et le rassurer contre l'incertitude de l'avenir, le poète aima mieux conserver son indépendance et devoir sa fortune à lui-même. En célébrant ce qu'il y avait de louable dans le règne de Louis XV, et surtout par un petit poème sur "L'établissement de l'école militaire", il acquit la bienveillance d'une femme alors toute puissante. Madame de Pompadour lui promit de s'occuper de son sort et, pour le consoler de la chute "d'Egyptus", lui fit donner la place de secrétaire des bâtiments sous M. de Marigny, son frère, qui en avait la surintendance. Cet emploi, que Marmontel exerça cinq ans à Versailles, le captivait deux jours de la semaine. Quand il avait rempli ses fonctions, son loisir était consacré à faire un cours d'études méthodique en parcourant les principales branches de la littérature ancienne et moderne. Ses recherches en ce genre avaient pour but de fournir des articles à l'Encyclopédie, dont ses amis Diderot et d'Alembert étaient les éditeurs. Pour concourir au succès du "Mercure" de France, sur lequel il jouissait d'une pension, il fit insérer le premier de ses contes moraux intitulé "Alcibiade, ou le Moi". Cet opuscule parut d'autant plus piquant, qu'il ne s'était pas nommé; à un dîner d'Helvétius, les plus fins connaisseurs crurent pouvoir l'attribuer à Voltaire ou à Montesquieu. Des éloges aussi flatteurs, auxquels se joignirent les instances du rédacteur du journal, engagèrent Marmontel à composer "Soliman II", ensuite "Le Scrupule", "Les Quatre flacons", etc. Telle fut l'origine de ces contes, dont le recueil, imprimé tant de fois depuis 1761, est traduit dans toutes les langues de l'Europe; le mérite en est encore mieux attesté par les imitations que l'on en a faites et par les pièces de théâtre que l'on en a tirées. A peu près tous les mois, il en paraissait un dans le "Mercure", à la grande satisfaction des abonnés. L'auteur dut se féliciter d'avoir rencontré l'espèce de productions auxquelles l'appelait la nature de son esprit. Les sujets où pour se faire aimer la vertu se montre sous un aspect doux et riant semblent lui appartenir. Quand il peint les innocentes délices de la campagne, l'union des coeurs purs, les heureux effets d'une bonne action, c'est alors que l'élégante facilité de son style se déploie avec le plus de charme. On regrette qu'entraîné par le désir de plaire à son siècle, il ait plus d'une fois oublié le dessein qu'il annonce avoir eu d'introduire une morale saine dans ses compositions les moins graves. Il est certain qu'il s'écarte de son objet, en n'inspirant pas toujours un assez grand éloignement pour les moeurs relâchées dont il présente le tableau. Madame de Genlis affecte de saisir toutes les occasions de lui reprocher d'être "un homme sans connaissance du monde", exagération qui dispense d'une réponse; mais elle lui fait des critiques au moins spécieuses sur quelques défauts de convenance. Quoi qu'il en soit, les "Contes moraux" sont du petit nombre de nos livres modernes dont le succès paraît assuré. C'est une lecture non seulement agréable, mais le plus souvent propre à élever l'âme, à rectifier l'esprit, à corriger les travers. Dans l'Encyclopédie, l'auteur avait proposé de supprimer les "dit-il" et les "dit-elle" du dialogue vif et pressé; dans ses "Conte", il fit un heureux essai de ce conseil. S'il n'est pas l'inventeur d'une suppression dont Rabelais et Béroalde de Verville fournissent des exemples fréquents, il a du moins le mérite de l'avoir fait prévaloir lorsqu'elle était tombée en désuétude.

4. Le Mercure de France - Intrigues littéraires - Marmontel emprisonné à La Bastille

Après la mort de Boissy, en 1758, madame de Pompadour demanda le "Mercure" pour Marmontel. "Sire, dit-elle au roi, ne le donnerez-vous pas à celui qui l'a soutenu ?" Le brevet en fut expédié sans délai. Le protégé de la favorite, voyant que ses nouvelles occupations étaient incompatibles avec le secrétariat des bâtiments, se démit de ce dernier emploi, auquel il préféra des ressources moins solides et plus assujettissantes. L'espoir d'obtenir le fauteuil académique, le désir de se rapprocher des gens de lettres influèrent sur sa détermination. Lorsqu'il eut abandonné le séjour de Versailles, madame Geoffrin lui offrit chez elle à Paris un logement qu'il accepta, toutefois en le payant. Dans des mains exercées et laborieuses, les produits du "Mercure" reçurent de l'accroissement; la décence de la critique, la variété des matières lui donnaient plus de vogue que jamais, lorsque le rédacteur perdit le fruit de ses veilles par un évènement qui fait trop d'honneur à son courage et à sa générosité pour être passé sous silence. Cury, intendant des Menus Plaisirs, imputait la perte de sa place au duc d'Aumont; et pour se venger il fit une satire contre lui, en parodiant la fameuse scène d'Auguste avec Cinna et Maxime. Marmontel, à qui plusieurs fois il l'avait récitée, la répéta chez madame Geoffrin dans un petit cercle d'amis dont elle garantissait la discrétion. Ce fait dès le lendemain fut dénoncé au duc, qui s'en plaignit au roi. Celui qui était convaincu d'une simple imprudence avait lui-même à se plaindre de la personne offensée relativement aux procédés de Lekain. On crut que la parodie était son ouvrage ; et sur le refus d'en nommer le véritable auteur, il fut emprisonné onze jours à la Bastille et privé d'un brevet auquel étaient attachés quinze à dix huit mille francs de rente. Il n'en avait joui que deux ans. Ce revers inattendu n'empêcha point Marmontel de continuer à ses tantes et à ses soeurs les pensions qu'il leur faisait. Son ardeur à poursuivre ses projets littéraires n'en fut que plus active.

5. Des succès mitigés

L'Académie française lui décerna pour la troisième fois le prix de poésie, en couronnant "l'Epître aux poètes sur les charmes de l'étude" (1760); morceau plein d'une verve qu'il n'eut jamais ailleurs, mais dans lequel il exalte Lucain, censure Virgile, défend le Tasse contre les attaques de Boileau et s'efforce d'enlever à celui-ci le rang qu'il occupe à si juste titre dans l'opinion. A peu près à cette époque parut la traduction en prose du poème de la "Pharsale", avec un supplément qui termine le livre 10, 2 vol. in-8°. Le traducteur se propose moins de faire revivre tous les traits de son modèle que d'en conserver les beautés, dégagées de ce qui les dépare. Vainement il en tempère les excès, en abrège les longueurs, en éclaircit les obscurités; malgré ses efforts, il n'a pu lui procurer un grand nombre de lecteurs. Dans sa préface, il met des restrictions aux éloges qu'il avait donnés à Lucain; puis, recherchant les causes de la ruine de Rome, il les aperçoit dans l'orgueil indomptable des patriciens, dans la domination tyrannique du sénat, et parle des Gracques comme des ornements de leur patrie. Le coup d'autorité dont il venait d'être victime influait sans doute sur la direction que prenaient alors ses idées. Sa "Poétique française" fut publiée en 1763, 2 vol. in-8°. Voici le jugement qu'il en porta plus de vingt ans après : "Ce recueil d'observations, d'abord rédigé à la hâte, ne m'a paru à l'examen ni assez complet, ni assez réfléchi; en le fondant presque en entier dans les articles que j'ai semés dans "l'Encyclopédie", j'ai eu lieu bien souvent tantôt d'en éclaircir, d'en développer les principes, tantôt de les rectifier, etc... (Avertissement de Marmontel, 1786). Dédier cette "Poétique" à Louis XV était une précaution adroite pour démontrer que le monarque approuverait son admission à l'Académie française. En effet, le 22 décembre 1763, il prit séance dans ce corps, où son élection fut traversée par le comte de Choiseul-Praslin, qui figurait dans la parodie dont nous avons parlé. Dans sa réponse en qualité de directeur, l'abbé Bignon se contenta de faire l'éloge de Bougainville, prédécesseur du récipiendaire, après avoir adressé une ou deux phrases à celui-ci; fait peut-être unique dans les fastes académique.

6. Bélisaire et la censure de la Sorbonne

Se croyant atteint d'une maladie de poitrine funeste à toute sa famille, le nouvel académicien avait résolu de consacrer ses derniers jours à une fiction d'un genre élevé. "Bélisaire" fut son héros; ce roman, fondé sur une tradition plus que suspecte et mis au jour en 1767, fixa l'attention des souverains et des peuples. Les six premiers chapitres ont un intérêt dramatique, et sont ce que l'auteur a écrit de plus éloquent; mais les dix autres, presque entièrement dénués d'action, semblent être autant de traités sur chaque branche de la politique. Le quinzième roule sur la tolérance. Malgré les ménagements étudiés avec lesquels une matière aussi délicate y est discutée, la Sorbonne publia le 26 juin 1767 une censure volumineuse de ce chapitre; et le 31 janvier 1768 parut un mandement de M. de Beaumont, archevêque de Paris, qui la confirmait dans tous ses points. Les propositions que condamnaient les docteurs et le prélat parurent si modérées en les comparant avec celles dont chaque jour offrait des exemples, que la cour et le parlement gardèrent le silence. On interdit néanmoins le censeur Bret pour s'être permis d'approuver ces propositions. Le livre de Marmontel continua de s'imprimer avec le privilège du roi; et cet écrivain se défendit sans franchir les bornes de la prudence. Dans sa correspondance apologétique, il dit à l'abbé Riballier, syndic de la faculté de théologie : "Avouez, monsieur, que c'est plutôt sur l'esprit de mon siècle que sur le mien que l'on me juge." Il s'attache également à prouver que "l'Examen de Bélisaire" par l'abbé Coger est une critique plus violente que motivée, trop exalté par l'esprit de parti, puisse être absous de trois fautes capitales : l'invraisemblance, la monotonie, la stérilité d'invention. Parmi les attaques dirigées contre la Sorbonne , on distingua celle d'un anonyme (Turgot). Marmontel fut complimenté au nom des cours d'Autriche, de Prusse, de Suède, etc. ; Catherine II traduisit elle-même en langue russe le quinzième chapitre de "Bélisaire".

7. Les Incas et autres oeuvres - Succès, polémiques et revers

Sans aucune sollicitation de sa part, sur la seule demande du duc d'Aiguillon, Marmontel obtint la place d'historiographe de France, vacante par la mort de Duclos (1771). Six ans après, il donna "Les Incas", 1777, vol. in-8°. Cet ouvrage, qu'il avoue ne savoir comment définir, est dédié au roi de Suède, Gustave III. C'est une espèce de roman poétique, établi sur l'histoire et divisé en cinquante-trois chapitres. Le plan n'en est pas assez net; les principaux évènements y sont disposés dans un ordre peu convenable; la multiplicité des épisodes, leur défaut de proportion, détruisent l'unité d'intérêt. Sans doute plusieurs parties considérables en seront toujours lues avec plaisir; mais si des morceaux d'une éloquence vraie et naturelle s'y font remarquer souvent, quelquefois aussi le bon écrivain fait place au rhéteur. Le romancier produit alors d'autant moins d'effet, qu'il force son ton et qu'il charge ses couleurs. Dans un style dont la parure est un peu uniforme, on trouve fréquemment une suite de vers non rimés de toute mesure; affectation qui répand sur la prose plus de gène qu'elle ne lui donne d'harmonie. Il est facile d'en faire l'épreuve sur le discours de Valverde à Las Casas, chapitre 12. Quant au fond, en retraçant la perfidie et la férocité des Espagnols envers les faibles habitants du Mexique et du Pérou, le but de l'auteur était de dénoncer à l'humanité les plus grands crimes que le faux zèle ait commis au nom d'un dieu de paix. "Quelle fut, s'écrie-t-il, la cause de tant d'horreurs dont la nature est épouvantée ? Le fanatisme; il en est seul responsable; elles n'appartiennent qu'à lui". (Préface). Marmontel vécut assez pour se convaincre que le fanatisme religieux n'est pas le seul qui fasse taire les lois et qui transforme les hommes en tigres. De son aveu, l'ambition de marcher sur les traces de Quinault le séduisit de bonne heure. Dans le temps où elle dominait le plus, en 1751, M . de Bernage, prévôt des marchands, lui avait proposé de travailler avec Rameau à un divertissement pour la naissance du duc de Bourgogne, frère aîné de Louis XVI. Il fit avec le même artiste d'autres actes détachés. Dans la suite, voulant adoucir la triste position de Grétry, il s'essaya dans un genre de pièces qui lui réussit, le caractère en étant analogue à celui de ses "Contes". Le théâtre lui doit divers opéras-comiques, tels que "le Huron", tiré du roman de "l'Ingénu", par Voltaire, 2 actes, 1768; "Lucile", 1 acte, 1769; "Silvain", 1 acte 1770; "L'ami de la maison", 3 actes, 1771; "Zémire et Azor, 4 actes, 1771; " La Fausse Magie ", 1 acte, 1775. On disait, en jouant sur le mot, que le dénouement de ce dernier acte "était à la glace", parce qu'il se fait avec un miroir. Si l'agréable compositeur embellit ces jolis poèmes par l'expression de son chant, le poète, de son côté, ne le sert pas moins heureusement par la coupe des airs et par le dialogue musical; personne ne l'égale dans l'ariette noble. Cependant, après lui avoir, en rédigeant le "Mercure", assigné la première place dans ce genre de spectacle, Laharpe la lui ôte pour la donner à Favart. Dans les conceptions de celui-ci, il reconnaît plus de variété, plus de comique, en un mot plus de ce charme indépendant de l'art du musicien. Il a même la bonne foi de convenir qu'il ne l'avait pas lu lorsqu'il donnait la préférence à Marmontel ("Cours de littérature", t. 12, p.522). Ce dernier, enhardi par la réussite qu'avait obtenue l'accord de son talent et de celui de Grétry, forma le projet d'arranger nos chefs-d'oeuvre lyriques pour y appliquer le chant italien. Unissant ses efforts à ceux du compositeur Piccini, il fit des changements nombreux aux opéras suivants de Quinault : Amadis, Armide, Atys, Isis, Persée, Phaéton, Roland et Thésée. Ces changements, ayant fait disparaître les taches et non les beautés des anciennes pièces, ont ajouté à leur intérêt et les ont surtout rendues susceptibles d'admettre toutes les formes d'une musique qui semblait devoir nous être étrangère. On disait un jour que Piccini travaillait sur le "Roland" arrangé par Marmontel, tandis que Gluck était occupé du "Roland" de Quinault. "Eh bien ! dit l'abbé Arnaud, nous aurons un Orlando et un Orlandino !". Cette raillerie fut entre les deux académiciens le signal d'une guerre d'épigrammes sanglantes, rapportées dans la "Correspondance littéraire" de Laharpe. On ne s'en tint pas là; les gens de lettres se divisèrent; l'homme que l'acharnement de Fréron et de Palissot n'avait pas fait sortir de sa modération la perdit dans une dispute frivole, au point de composer un poème en douze chants intitulé "Polymnie", pour la défense de Piccini contre les partisans de Gluck; poème connu par de longs fragments, où la satire ne remplit pas une des moindres places. L'édition qui en fut publiée pour la première fois en 1819, in-8°, a été supprimée sur la demande de M. Marmontel le fils. L'auteur ne se vengea pas de ses adversaires avec l'arme seule du ridicule; il enrichit la scène des tragédies lyriques de "Didon", 3 actes, 1783, et de "Pénélope", 3 actes, 1785; le jeu admirable de mademoiselle Saint-Huberti contribua sans doute au très grand succès de la première. Ces deux opéras, indépendamment du secours qu'ils tirent de la musique de Piccini, ont des beautés réelles et sont bien conduits; néanmoins, ils prouvent à la lecture que Marmontel s'élevait difficilement à la haute poésie.

8. Les oeuvres Complètes - Critique de Marmontel

Lorsque ce fécond écrivain recueillit les ouvrages qu'il voulait laisser après lui, il en exclut treize ou quatorze pièces de théâtre : entre autres "Acanthe et Céphise", pastorale héroïque, représentée pour la naissance du duc de Bourgogne, 1751; "les Sybarites", 1757: "Annette et Lubin", 1762, sujet tiré des "Contes moraux", et traité plus heureusement par Favart; " la Bergère des Alpes", 1766; sujet également tiré des "Contes moraux", et traité par Desfontaines en 1765; "Céphae et Procris", représenté pour le mariage de Louis XVI, 1770; "Démophon", 1789; "Antigone", 1790, etc. Dans les "Mélanges" de Marmontel, on remarque des "Discours", dont quelques-uns ont jusqu'à cinq cents vers : 1° sur la force et la faiblesse de l'esprit humain; 2° sur l'éloquence; 3° sur l'histoire; 4° sur l'espérance de survivre. Ces discours, moins recommandables par le mérite de l'exécution que par le choix des sujets, offrent des vers, même des passages dignes d'être retenus. Si quelque chose démontre que le poète était rarement doué de cette sensibilité profonde qui répand dans les coeurs les émotions qu'elle éprouve, c'est le ton de l'Epître au roi sur "l'Incendie de l'Hôtel-dieu", 1772. Son poème "sur le dévouement de Léopold de Brunswick", 1788, est le morceau le plus soutenu, le mieux senti qu'il ait fait; et cependant il n'offre pas toute la force, tout le pathétique qu'exigeait un sujet si élevé, si touchant. Aussi l'auteur était-il plus propre aux compositions légères qu'aux compositions graves, à la marche du vers de huit syllabes qu'à celle du vers alexandrin. Parmi les morceaux écrits en prose, qui sont insérés dans le volume des "Mélanges", il ne faut pas oublier 1° L'éloge de Colardeau, que Laharpe remplaçait à l'Académie; 2° l'Apologie du théâtre, réfutation de la lettre de J.-J. Rousseau à d'Alembert; 3° l'Essai sur les romans; 4° le discours intitulé "De l'autorité de l'usage sur la langue. En publiant l'édition de ses oeuvres, Marmontel y comprit sous le titre "d'Eléments de littérature", les articles qu'il avait fournis à l'Encyclopédie, auxquels il en joignit d'autres pour compléter l'entreprise la plus important qu'il eût formée, 6 vol. in-8°. L'ordre alphabétique qu'il adopte a plusieurs avantages : il tempère la sécheresse des préceptes par l'attrait de la variété, dispense d'une lecture suivie, et montre chaque objet sous ses divers rapports; mais il est peu favorable à l'enchaînement des idées. Pour en rétablir la liaison, une table méthodique est un fil à l'aide duquel ce dictionnaire peut se lire comme un traité et en présenter l'instruction solide. Ecrivant pour des lecteurs qui méditent dans le recueillement du cabinet, Marmontel n'a pas dû procéder comme Laharpe, qui s'adressait à un nombreux auditoire. Certes, tous deux se proposent d'instruire, mais chez le premier les moyens de plaire sot un accessoire indispensable, chez le second ils semblent être l'objet principal. L'un, embrassant chaque genre de composition dans son étendue, et forcé néanmoins de le renfermer dans de justes limites, ne peut se permettre ces longs développements qui soulagent l'intelligence. L'autre, s'attachant à faire l'application des principes sur les chefs-d'oeuvre, se plaît à descendre dans des analyses et dans des citations à la portée de ceux qui l'écoutent. Les "Eléments de littérature", remplis de réflexions sur les arts, de définitions abstraites, exigent des connaissances pour être consultés avec fruit. Le "Cours de littérature", presque toujours animé par la voie des exemples, peut instruire les esprits les moins cultivés. Cette différence dans les deux ouvrages explique pourquoi celui-là n'est guère lu que par des hommes éclairés, tandis que celui-ci l'est souvent par les gens du monde. "L'envie de paraître un homme indépendant, qui n'est d'aucun pays ni d'aucun siècle, qui n'a nul souci des jugements du vulgaire" ("Mémoires", liv. 5, p. 274), contribua, peut-être plus que sa propre manière de voir, à jeter Marmontel dans des paradoxes auxquels le fit renoncer une tardive expérience. Toutes ses erreurs n'ont pourtant pas été abjurées; la persévérance de son injustice envers Boileau étonne encore. Quoi qu'il en soit, on lui doit plusieurs théories neuves, supérieurement discutées. Palissot lui-même n'ose refuser son suffrage à " des articles vraiment dignes d'éloges, et qui supposent de très bonnes études". Il en conseille la lecture à nos jeunes littérateurs. "Ils y puiseront, dit-il, des lumières utiles à leurs progrès, étant avertis surtout que l'auteur ne mérite pas toujours une entière confiance" ("Mémoires de littérature").

9. Marmontel secrétaire perpétuel de l'Académie - La Révolution et ses conséquences

Marmontel succéda dans la place de secrétaire perpétuel de l'Académie française à d'Alembert (1783); après la mort de Thomas, M. d'Angivillers lui fit accorder celle d'historiographe des bâtiments (1785); la chaire d'histoire lui fut confiée au Lycée qui prit naissance en 1786, et les leçons y furent données par M. D.-J. Barat, son adjoint. Ses appointements, ses pensions, les fonds qu'il avait économisés lui procuraient à Paris et à la campagne les agréments d'une vie paisible et considérée. Marié depuis 1777 avec une jeune nièce de l'abbé Morellet, ses jours s'écoulaient au milieu des douceurs de l'hymen et de l'amitié. Lorsque la scène de la révolution s'ouvrit, la voix publique le désignait comme devant y jouer un rôle. La sagesse de sa conduite à l'assemblée électorale en 1789 fit évanouir les dispositions favorables dans lesquelles on était à son égard; et le fameux Sieyès lui fut préféré pour la députation aux états généraux. Les maux qu'il redoutait ne tardèrent pas à fondre sur le royaume. Pour en détourner la vue, il composa de "Nouveaux Contes moraux", insérés dans le "Mercure " depuis 1789 jusqu'en 1792. S'ils n'ont pas la diction enjouée et brillante, toute la finesse, toute la grâce attique des anciens, du moins nul apprêt ne les gâte, et les sentiments qu'ils expriment sont toujours purs et touchants. Dans les anciens contes, les fleurs ornent parfois les écarts d'une imagination jeune et vive. Dans les nouveaux, on goûte sans scrupule les fruits d'une morale que n'altère aucun mélange; la vieillesse s'y laisse un peu entraîner au plaisir de raconter, comme dans " la Veillée "; mais le plus souvent elle y est fort aimable, comme dans "le Franc Breton". De temps en temps, elle y donne des leçons très instructives à la foule de nos législateurs modernes, comme dans le "Petit voyage". En 1792 Marmontel sentit la nécessité de fuir la capitale. Il se réfugia d'abord aux environs d'Evreux, puis auprès de Gaillon, dans le hameau d'Ablebille, où il acquit une chaumière. Là, réduit à la détresse par la perte successive de ses moyens d'existence, son imagination ne pouvait se distraire pas d'amusantes rêveries. Pour instruire ses enfants, il composait un cours élémentaire; pour les égayer, il racontait les évènements de sa jeunesse. Tel fut l'emploi de son temps jusqu'au mois d'avril 1797 (germinal an 5), époque où ses concitoyens le nommèrent député du conseil des Anciens. Il y fit un rapport sur la restitution des bibliothèques confisquées. Chargé par ses commettants de défendre la cause de la religion, il se proposait de prononcer "sur le libre exercice des cultes ", un discours que l'on a conservé. Envisageant d'un oeil attentif les conjonctures, les plans et les obstacles, il cédait aux instances des gens de bien sans partager leur sécurité. La catastrophe qui, le 18 fructidor, termina sa carrière politique ne le surprit point. Les élections de son département furent cassées; peut-être dut-il à son âge et à sa célébrité d'échapper aux horreurs de la déportation.

10. La mort - Physionomie de Marmontel - Eloge funèbre - Oeuvres posthumes

De retour dans son asile champêtre, il chercha, comme autrefois dans la vigueur de sa jeunesse, à faire par le travail une diversion à ses peines. Le 31 décembre 1799, il mourut d'apoplexie, et fut enterré dans son jardin par des prêtres catholiques. Aux avantages de l'esprit il joignait ceux de l'extérieur, une taille élevée, une physionomie belle, d'une expression imposante, mais on assure que sa conversation était loin d'avoir l'agrément de ses écrits. L'abbé Morellet, son ami, prononça son éloge à l'Institut le 31 juillet 1805. Après sa mort, outre le recueil des "Nouveaux Contes moraux", 1801, 4 vol. in-8°, on a publié pour la première fois plusieurs autres de ses ouvrages. Les "Mémoires d'un père, pour servir à l'instruction de ses enfants", 1804; 4 vol. in-8°; réimprimés en 1827, 2 vol. in-8°, et traduits en allemand et en italien sont une lecture variée et attachante, où l'on est fâché de ne rencontrer presque aucune date et de trouver plusieurs opinions contradictoire, plusieurs faits au moins douteux. Quelle vaste galerie de portraits opposés, depuis Massillon jusqu'à Mirabeau ! On regrette que l'auteur ait encouru un reproche, dont personne n'est tout à fait exempt : il ne se défie pas assez de ses préventions pour ou contre ceux qu'il passe en revue; Buffon éprouve toute sa rigueur, et Diderot toute son indulgence. A l'exemple de madame de Staal, il avoue s'être peint en buste; cependant, sans un excès de sévérité, la circonspection ne pouvait-elle pas être portée plus loin dans les peintures qu'il met sous les yeux de ses trois fils ? Sur sa parole, on est autorisé à croire que le baron d'Holbach ne l'avait pas initié dans les mystère de sa société la plus intime. D'ailleurs, Voltaire, dans sa correspondance avec lui, ne parait pas avoir jamais employé sa formule usitée contre le christianisme. "LHistoire de la régence du duc d'Orléans", 1805, 2 vol. in-8°, était finie dès 1788. En signalant la partialité de Saint-Simon, l'historien ne le rend pas moins pour guide dans la plupart de ses jugements. Les idées dominantes du 18ème siècle, à l'époque où il écrivait, exercent aussi trop d'influence sur sa manière d'envisager les discussions ecclésiastiques auxquelles il donne une étendue démesurée. Ses anecdotes ne sont pas toujours puisées dans les bonnes sources; à l'égard du cardinal Dubois, il répète les circonstances vulgairement accréditées de son prétendu mariage. Sa description de la peste de Marseille, copiée dans le "Mémorial" du temps, a presque la sécheresse d'une gazette. Ce morceau, loué par Chénier, demandait la plume de Thucydide; et celle de Marmontel se refusait ordinairement à retracer des images sombres et terribles. Quoique l'"Histoire de la régence" contienne sur l'administration des détails précieux et soignés, elle semble prouver de plus en plus, par l'embarras et la lenteur de sa marche, que les grandes compositions n'étaient point en accord avec la mesure des talents de l'auteur. Les "Leçons d'un père à ses enfants sur la langue française, sur la logique, sur la métaphysique, sur la morale", 1806, 4 vol., sont autant de traités distincts, utiles, faits dans des vues respectables. L'instituteur s'y adresse à l'âme de ses élèves, et les instruit par les moyens de la persuasion. Les nouvelles doctrines étaient devenues tellement suspectes à ses yeux, qu'il ne craint pas de se déclarer le partisan des idées innées. Ses observations sur la langue annoncent un homme maître depuis longtemps de son sujet; elles ont de la finesse, même de la profondeur; c'est en ce genre l'un des livres les mieux exécutés. La réputation de Marmontel comme poète est établie jusqu'à présent sur un petit nombre d'opéras qui ont surtout le mérite d'une diction pure et correcte. Comme prosateur, ses "Contes" le mettent au rang des modèles, et ses articles de littérature lui assurent une place très distinguée parmi nos meilleurs critiques. L'élégance et la facilité, voilà les caractères de son style; quelquefois, à la vérité, cette élégance est un peu affectée, et cette facilité est un peu diffuse. Il s'accuse d'avoir, dans sa jeunesse, répandu ses idées avant qu'elles fussent mûries par la réflexion ("Mémoires", liv. 6, p. 232). Cette habitude d'une composition précipitée se fait sentir dans ses travaux les plus sérieux, et y jette par intervalles quelque chose de vague et d'obscur.

11. Les éditions des Oeuvres de Marmontel jusqu'au début du XIXème siècle.

La collection de ses oeuvres n'avait pas été imprimée qu'à Liège, chez Bassompierre, 177., 11 vol. in-8°, lorsqu'il la porta lui-même à 17 vol. in-8° et in-12, Paris, Merlin, 1786. Le libraire Verdière a réuni en 18 volumes in-8°, 1818, fig., dans leur ordre véritable, les ouvrages compris dans cette édition et dans les oeuvres posthumes. Il y a joint : 1° La censure de la faculté de théologie contre Bélisaire; 2° Les lettres de Marmontel à l'abbé Riballier; 3° des Lettres inédites; 4° Le Huron, 2 actes; 5° une Epître dédicatoire des oeuvres de Marmontel à sa femme, hommage inséré dans les exemplaires destinés aux amis de l'auteur; 6° un "Essai sur les révolutions de la musique en France". Indépendamment des morceaux de critique donnés par cet écrivain dans le "Mercure", on a de lui une Préface pour la "Henriade" (1746), des "Discours préliminaires", des "Remarques sur la langue et le goût", relatives aux tragédies de "Sophonisbe" par Mairet, de "Scévole" par Duryer, de "Venceslas" par Rotrou, 1773, 1 vol. in-4°. Cette magnifique entreprise, qui embrassait tous nos chef-d'oeuvre dramatiques, ne fut pas continuée. "Venceslas", presque entièrement remis en vers, fut joué le 29 mars 1759. Collé donne un examen des changements faits à cette tragédie (Journal, etc., t.2, p. 278). Il existe une édition des Oeuvres de Marmontel (Paris, Belin, 1820, 7 vol. in-8°), qui est précédée d'une notice sur les ouvrages de l'auteur, par Villenave, et qui est augmentée dans le dernier volume par de nombreux articles de Marmontel.

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