Jean de La Bruyère , écrivain célèbre, naquit en 1644, près de Dourdan. Il ne nous reste que peu de détails sur sa vie. On sait seulement qu'il fut trésorier de France à Caen, puis chargé, sous la direction de Bossuet, d'enseigner l'histoire au duc de Bourgogne, qu'il passa le reste de ses jours auprès de ce prince en qualité d'homme de lettres avec une pension de mille écus, qu'il fut reçu à l'Académie française le 15 juin 1693, et qu'il mourut d'apoplexie à Versailles le 10 mai 1696. C'était un philosophe qui ne cherchait qu'à vivre tranquillement avec des amis et des livres, toujours disposé à une joie modeste, ingénieux à la faire naître, poli dans ses manières et sage dans ses discours, fuyant tout sorte d'ambition, même celle de montrer de l'esprit. Lorsqu'il eut composé le livre des « Caractères », il montra son manuscrit à Malezieux, qui lui dit : « Voilà de quoi vous attirer beaucoup de lecteurs et beaucoup d'ennemis. » Cet ouvrage, imprimé en 1687, fut lu avec avidité, non seulement parce qu'il était excellent, mais parce qu'on supposait l'auteur des intentions qu'il n'avait pas eues : on voulut connaître dans la société les personnages qui sortaient du pinceau de La Bruyère ; on plaça des noms au bas des « Caractères » et de ses portraits. La malignité contribua d'abord au succès de l'ouvrage, autant peut-être que le mérite réel qu'on y trouvera toujours, et qui le fera rechercher dans tous les temps. La vérité de ses « Caractères », dit l'abbé Delille, a été chaque jour mieux connue, et sa manière plus appréciée. Pour le peindre, il faudrait avoir son génie, et ce talent inimitable qui renferme tant de sens dans une phrase, tant d'idées dans un mot, exprime d'une manière si neuve ce qu'on avait dit avant lui, et d'une manière si piquante ce qu'on n'avait pas encore dit. Son ouvrage est de tous les livres de morale celui qui donne le mieux à la jeunesse la connaissance anticipée de ce monde, où les mêmes passions, les mêmes vices, les mêmes ridicules, malgré quelques changements passagers de costumes, de modes et de mours, donnent à la génération présente une grande ressemblance avec celles qui la précèdent ou celles qui la suivent. Boileau félicitait ou plutôt accusait La Bruyère de s'être affranchi de la gêne et du travail des transitions. Son art est de surprendre le lecteur et de se jouer des règles de l'art. Il n'appartenait qu'à un home de génie d'intéresser de cette manière ; un homme médiocre aurait pu mettre plus d'ordre et de méthode dans un livre, mais il aurait fait un ouvrage ennuyeux. Le livre de La Bruyère , qui nous représente le monde tel qu'il est et qu'il sera toujours, est comme ce monde lui-même, où tout change, tout se renouvelle sans cesse, où tout semble jeté au hasard, où chaque jour amène un nouveau sujet d'observation, de surprise et d'intérêt. On a de La Bruyère « Les Caractères de Théophraste », Paris, 1687, in-12. Il y a eu des augmentations considérables dans les éditions suivantes, parmi lesquelles nous citerons celles de Paris, 1697, in-12, 1740, 2 vol. petit in-12, et 1765, in-4. Berlin de Ballu, qui a donné une édition des « Caractères », Paris, Bastien, 1790, 2 vol. in- 8, a fait aussi imprimer la traduction de « Théophraste » par La Bruyère , à laquelle il a ajouté la traduction des chapitres 29 et 30 de l'auteur grec, imprimés pour la première fois en 1786 à Rome. Madame de Genlis a publié une édition des « Caractères » avec de nouvelles notes critiques, 1812, in-12. « Les Dialogues posthumes sur le quiétisme », continués par L. Ellies Dupin, furent donnés en 1699, in-12. Cette dispute théologique était assez étrangère à La Bruyère pour qu'il pût se dispenser d'y prendre part ; mais ainsi que l'a remarqué M. le cardinal de Beausset, « une juste admiration, réunie à la reconnaissance ne permettait pas à La Bruyère d'hésiter entre Bossuet et Fénelon ».