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Portrait de Rousseau

Biographie de Jean-Jacques Rousseau (1742-1778)

Jean-Jacques Rousseau, naquit à Genève le 28 juin 1712, et quoiqu'il eût en naissant coûté la vie à sa mère, son enfance n'en fut pas moins environnée, nous dit-il des plus tendres soins. Son père, horloger, était un homme simple et bon qui songea bien moins à cultiver les rares dispositions dont il le voyait doué qu'à lui épargner les contrariétés de son âge : Jean-Jacques ne se rappelait pas comment il avait appris à lire; mais il se souvenait que ses premières lectures avaient été des romans, et que les émotions précoces qu'il y puisa lui "donnèrent sur la vie humaine des notions bizarres et romanesques, dont l'expérience et la réflexion ne purent jamais bien le guérir. Aux romans succédèrent néanmoins quelques bons livres, parmi lesquels se trouvaient les "Vies" de Plutarque, dont il fit dès lors sa lecture favorite. Sa jeune imagination se passionnait pour les grands caractères de l'antiquité; mais il n'avait pas un guide, pas un ami qui songeât à réduire pour lui des tableaux plus grands que nature aux proportions de la vérité et à la mesure de notre temps. Son père, obligé de quitter Genève le mit en pension à Bossy, chez le ministre Lambercier, d'où il sortit au bout de deux ans, à peu près aussi ignorant qu'il y était entré. Un oncle maternel qui s'était chargé de lui l'envoya copier des actes dans l'étude d'un greffier de Genève; mais celui-ci ayant déclaré q'il était "inepte et bon tout au plus à pousser la lime", il fut placé dans l'atelier d'un graveur, homme grossier, qui lui rendit odieux ses devoirs d'apprenti. Là Jean-Jacques apprit non seulement à mentir pour éluder la sévérité du maître, mais il apprit à dérober pour imiter ses compagnons. Lassé d'une contrainte qui tendait à l'abrutir, il quitta subitement son nouvel état, son pays et sa famille, pour reconquérir son indépendance, et alla à tout hasard demander l'hospitalité à l'abbé de Pontverre, curé de Confignon en Savoie. Cet ecclésiastique, espérant lui faire abjurer le protestantisme, l'accueillit avec empressement, et l'envoya ensuite à Annecy, où il savait que son dessein serait puissamment secondé. C'est là que Rousseau, n'ayant encore que 16 ans, vit pour la première fois cette madame de Warens, qui joue un si grand rôle dans l'histoire de sa vie. En protégeant un jeune étranger dénué de ressources et d'appuis, la baronne de Warens était loin de pressentir qu'elle s'oublierait jusqu'à devenir son amante; elle prévoyait encore moins que l'homme comblé de ses bienfaits et dépositaire de tous les secrets de son âme, avilirait un jour sa mémoire en mêlant gratuitement à l'éloge de ses charmes et de ses vertus les révélations les plus scandaleuses. Par sa médiation et aux frais de l'évêque d'Annecy, Jean-Jacques Rousseau fut envoyé à Turin pour y être instruit dans le catholicisme, qu'il embrassa bientôt après, quoiqu'il ne pût "se dissimuler que changer de religion pour avoir du pain ne fût l'action d'un bandit". Sorti de l'hospice des catéchumènes, où il avait séjourné environ deux mois, et n'ayant retiré d'autre avantage de sa prétendue conversion qu'une modique somme de 20 francs, il entra au service de la comtesse de Vercellis, et ce fut dans cette maison qu'il commit une faute dont le souvenir, au bout de quarante ans, pesait encore sur sa vie, et qu'il voulut expier en en faisant l'aveu public. Cette faute, d'après son récit, était de s'être approprié un vieux ruban, et, plus encore, d'avoir chargé de ce vol une jeune servante qui fut renvoyée ainsi que lui, et dont il s'accuse d'avoir ainsi causé le malheur. La fortune cependant paraît un moment lui sourire : placé chez le comte de Gouvon, premier écuyer de la reine de Sardaigne, de l'emploi de laquais il passe à celui de secrétaire, et chacun dans cette maison se plaît à le combler de bontés; mais son inconstance naturelle l'empêche d'en profiter. S'échappant de Turin, comme il s'est échappé de Genève, il revoit Madame de Warens, dont les sages conseils réveillent en lui les goûts honnêtes qu'il avait perdus en quittant la maison paternelle, entre au séminaire dans l'intention de se faire prêtre, et est rendu peu de temps après à sa bienfaitrice comme n'étant propre à rien. Cette femme généreuse ne se rebute pas; elle l'accueille en mère, dirige ses idées, ses lectures et lui fait apprendre la musique dans l'espoir que ce talent pourra lui offrir une utile ressource. Séparé ensuite, par diverses circonstances, du seul être qui s'intéressât véritablement à lui, Rousseau parcourt la Suisse avec un prétendu évêque grec qui faisait des collectes pour le Saint-Sépulcre, et auquel il sert d'interprète; mais le quêteur et le truchement sont arrêtés à Soleure. L'ambassadeur de France, à qui le jeune Genevois raconte ingénument ses aventures en témoignant son vif désir d'aller rejoindre à Paris celle qu'il appelle sa "chère maman", lui donne une petite somme avec des recommandations capables de le faire valoir dans la capitale. Mais ce voyage, dont Rousseau se promet de si brillants avantages, n'est pour lui qu'une distraction stérile. Sa bienfaitrice a quitté Paris pour aller se fixer à Chambéry. Il se remet sur ses traces, se rend à Lyon où il espère en avoir de nouvelles, et dans cette ville est réduit à coucher plusieurs fois sur un banc à la belle étoile, faute d'argent pour payer un gîte. Enfin il rejoint Madame de Warens, et oublie bientôt dans le joli séjour des Charmettes tous les maux qu'il a soufferts. Les champs, l'étude et l'amitié réalisent pour lui tous les rêves de bonheur qui jusqu'alors ont abusé son imagination. Des lectures plus suivies, des méditations plus savantes fixent peu à peu ses idées. Il explore successivement Locke, Malebranche, Descartes, Montaigne, la "logique de Port-Royal", les "Eléments de mathématiques" du P. Lamy. Mais une maladie grave vient tout à coup l'arracher pour jamais à cette heureuse situation. Obligé d'aller consulter les médecins à Montpellier, il quitte ses champs et son amie, et la trouve au retour engagée dans des liens indignes d'elle. Quoique Rousseau ne se fût point piqué pendant son voyage d'une fidélité à toute épreuve envers madame de Warens, il ne put cependant supporter sans une amère douleur l'idée de son inconstance. Le séjour des Charmettes lui devint odieux, il fallut le quitter pour se rendre à Lyon, où l'attendait une place de précepteur chez monsieur de Mably, grand prévôt de cette ville. Après un an de travaux à peu près stériles dans cette carrière, Rousseau abandonna ses disciples, persuadé qu'il ne parviendrait jamais à les bien élever, et vint à Paris dans l'automne 1741, avec quinze louis et l'espoir d'une rapide fortune, fondée sur une méthode nouvelle qu'il avait découverte de noter la musique par chiffres; mais cette méthode, combattue par Rameau, fut jugée impraticable, et l'inventeur lui-même ne tarda pas à y renoncer. Repoussé comme musicien, Rousseau eut du moins l'occasion de faire d'utiles connaissances, et dut à leurs recommandations l'emploi de secrétaire de monsieur de Montaigu, ambassadeur à Venise. Ce fut pendant son séjour dans cette ville, où les aventures se multiplièrent pour lui, que son goût pour la musique italienne devint une véritable passion. Cependant l'opéra des "Muses Galantes", qu'il acheva à son retour, ne fut pas admis aux honneurs de la représentation. Il contenait des morceaux remarquables, déparés par des fautes grossières, et Rameau déclara que l'auteur n'était qu'un "petit pillard sans talent et sans goût". On voit par le dépit que Jean-Jacques en éprouva, jusqu'à quel point ce beau génie s'ignorait lui-même, et on lui pardonne d'avoir regardé comme un prodige le hasard qui vint tout à coup lui révéler son talent, et lui faire prendre un vol si élevé. Ce fut à l'âge de 57 ans, dans l'été de 1749, qu'allant visiter son ami Diderot, détenu à Vincennes à cause de sa "Lettre sur les Aveugles", il lut dans le "Mercure", qu'il avait emporté pour se distraire, la question proposée par l'académie de Dijon : "Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les moeurs". "Si jamais quelque chose, dit Rousseau, a ressemblé à une inspiration, c'est le mouvement qui se fit en moi à cette lecture; tout à coup je me sens l'esprit ébloui de mille lumière, et ma tête prise pas un étourdissement semblable à l'ivresse; une violente palpitation m'oppresse, soulève ma poitrine. Ne pouvant plus respirer en marchant, je me laisse tomber sous un des arbres de l'avenue, et j'y passe une demi-heure dans une telle agitation qu'en me relevant je vis mes vêtements mouillés de mes larmes sans avoir senti que j'en répandais." Revenu de son extase, il écrit au crayon la prosopopée de "Fabricius", qu'il s'empresse de montrer à Diderot. Celui-ci l'engage à donner l'essor à ses idées et à concourir pour le prix. Rousseau se met à l'oeuvre, et compose cette brillante déclamation qui a tant fait de bruit, et qui fut comme le signal de sa révolte contre son siècle. Le prix lui ayant été décerné par l'académie de Dijon, "cette nouvelle acheva de mettre en fermentation dans son coeur le premier levain d'héroïsme que la lecture de Plutarque y avait mis dès son enfance." Il résolut d'être libre, de briser les fers de l'opinion; et pour préluder à ce nouveau rôle, il retrancha de sa table et de sa mise le peu de luxe qu'il s'était permis jusque là. Renonçant aussi à l'emploi de caissier qu'il avait obtenu chez Monsieur de Francueil, fils de Monsieur Dupin, parce que la garde d'un trésor troublerait son sommeil, il se fit annoncer comme copiste de musique à dix sols la page, et sa résolution fit un tel bruit qu'il eut bientôt plus de pratique qu'il n'en voulait. Le brillant succès qu'obtint ensuite le "Devin du Village", qu'il fit jouer à Fontainebleau en 1752, acheva de la mettre en vogue. Le roi lui-même voulut voir l'auteur; mais le philosophe songeant à l'embarras dans lequel il va se trouver pour faire un remerciement au monarque, s'échappe au moment de la présentation, et vient se réfugier à Paris pendant que ses protecteurs le cherchent à Fontainebleau. L'année suivante, l'académie de Dijon, qui avait des droits au souvenir de Rousseau, mit au concours un sujet qui devait tenter sa plume. C'était "L'origine de l'inégalité des conditions". Pour méditer cette question qui lui offrait l'occasion d'exposer ses principes favoris, il court s'enfoncer dans la forêt de Saint-Germain, et c'est dans ce lieu, où il croit "retrouver, dit-il l'image des premiers temps dont il allait fièrement tracer l'histoire", qu'il compose cette sombre et véhémente satire de la société humaine, dont la dédicace est regardée comme un chef-d'oeuvre de diction, de convenance et de profondeur. Ayant eu l'occasion de retourner à Genève, Rousseau y révoqua solennellement l'abjuration qu'il avait faite à Turin, et fut bien tenté de se fixer pour jamais parmi ses concitoyens; mais le voisinage de Voltaire le détourna de ce projet et il revint à Paris. Ce fut alors que Madame d'Epinay, qui possédait auprès de Montmorency le château de la Chevrette , lui fit bâtir, à son insu, dans une position qu'il affectionnait, la petite maison si connue sous le nom de l'Ermitage. "Mon ours, lui dit-elle, voilà votre asile; c'est vous qui l'avez choisi, c'est l'amitié qui vous l'offre". Il accepta, non sans quelques difficultés, et alla s'y installer avec ses deux "gouverneuses". C'est ainsi qu'à trop juste titre ses amis et lui appelaient la mère et la fille Levasseur. Cette dernière, qu'il avait trouvée en 1745 dans le petit hôtel de Saint-Quentin, rue des Cordiers, poussait, s'il faut l'en croire, la stupidité jusqu'à ne pouvoir compter par ordre les mois de l'année, ni les heures sur un cadran; et cependant, même après que fut venu le temps où il dut rougir d'une telle liaison, il se laissait encire dominer par cette fille. Si du moins à défaut des plus faibles dons de l'intelligence elle eût été douée de l'instinct d'amour maternel que la nature accorde aux êtres privés de raison, elle eût épargné au philosophe, qu'elle rendit père, et qui plus tard l'épousa, le remords et la honte d'avoir abandonné ses enfants à la pitié publique. Ce fut en 1756 que Jean-Jacques alla avec Thérèse et sa mère se fixer à l'Ermitage, et c'est aussi dans ce lieu qu'il se livra à la composition des divers ouvrages qui le placèrent au premier rang des écrivains modernes. Bientôt une passion brûlante vint répandre de nouvelles amertumes sur sa vie. Il ne put voir sans être épris la comtesse d'Houdetot, belle-soeur de Madame d'Epinay, quoiqu'il sût qu'un ancien attachement la liât à Saint-Lambert. Le résultat de ce fol amour fut sa rupture avec madame d'Epinay, Diderot et presque tous ses autres amis. Les accusant tous de trahison, il se crut dès lors environné de pièges et d'embûches, quitta l'Ermitage, et alla s'établir à Montmorency au milieu de l'hiver, dans une chambre dont le plancher pourri tombait en ruines. C'est là que Rousseau reçut la visite du maréchal de Luxembourg, qui, voulant désarmer ce fier ennemi des supériorités sociales, l'obligea d'accepter un logement au château de Montmorency, où il eut la liberté de vivre selon ses goûts. La "Nouvelle Héloïse" parut en 1759, et le succès qu'obtint cet ouvrage surpassa les espérances même de l'auteur, qui disait : "Quiconque n'idolâtre pas ma Julie ne sait pas ce qu'il faut aimer; quiconque n'est pas l'ami de Saint-Preux n'est pas le mien". Cependant Rousseau travaillait depuis plusieurs années à un livre plus sérieux, à un "Traité d'éducation", dont il avait révélé le projet et le but dans la dernière partie de la "Nouvelle Héloïse". Voyant qu'on avait toléré dans sa Julie une espèce de dévotion paradoxale, il espéra qu'un "vicaire savoyard, avouant que l'Evangile parlait à son coeur", pourrait proclamer impunément une religion sans culte et une morale dans dogmes. Toutefois, malgré les justes reproches qu'on peut faire à l'Emile, cet ouvrage n'est pas moins considéré comme le plus beau monument à la gloire de Rousseau. C'est là surtout que le génie du grand observateur s'est montré avec une haute supériorité. "Ce n'est pas que là comme ailleurs, a dit Monsieur Villemain, Rousseau ne soit fort souvent imitateur; mais c'est là tout à la fois qu'il a répandu le plus d'idées neuves et le mieux orné les idées de autres; c'est là surtout qu'il a prodigué ces ressources et ces trésors du génie oratoire... Locke a fait un ouvrage sur l'éducation : presque toutes les idées de Locke sont dans Rousseau. Dans Locke elles sont raisonnables, dans Rousseau elles sont toutes-puissantes... Nous avait-on en effet passionnés avant lui pour le bonheur de l'enfance ? Nous avait-on attendris pour le maillot, s'il est permis de parler ainsi ? Avait-on trouvé des expressions pleines de vie pour conseiller aux mères de nourrir leurs enfants ? Avait-on fait verser des larmes de sympathie pour un jeune homme de quinze ou seize ans qu'on élève souvent si mal, et auquel on reproche su durement les fautes qu'on lui a fait faire ? Voilà des passions nouvelles, des intérêts jusque là négligés, que l'âme ardente de Rousseau conçoit et réalise par la parole." L'Emile, imprimé en Hollande en 1762, excita au moment de sa publication une fermentation qui aurait dû faire pressentir à l'auteur le sort qui l'attendait. Mais les épreuves de cet ouvrage ayant été envoyées en France sous le couvert de Monsieur de Malesherbes, directeur de la librairie, qui les corrigeait lui-même, Rousseau, sous un tel patronage, et comptant d'ailleurs sur la faveur publique, se croyait à l'abri de toute persécution, et vivait dans une sécurité parfaite, lorsque le prince de Conti le fait avertir qu'il est décrété de prise de corps par le parlement : le maréchal de Luxembourg facilitant sa fuite, Rousseau veut passer en Suisse; mais à peine arrivé à Iverdun, il apprend que l'Emile vient d'être brûlé à Genève par la main du bourreau, et que l'auteur y est comme à Paris décrété de prise de corps. Menacé par le sénat de Berne, notre philosophe trouve enfin un asile dans la principauté de Neuchâtel, et obtient l'agrément du roi de Prusse pour se fixer au village de Moliers-Travers où le gouverneur, milord Maréchal, lui assure une petite pension viagère. C'est alors que, par une bizarre fantaisie, Jean-Jacques adopte le costume arménien, et que, renonçant aux lettres, il se met à faire des lacets, travaillant devant sa porte comme les femmes du village et causant avec les passants. Il ne put cependant laisser sans réponse le mandement de l'archevêque de Paris qui venait d'anathémiser l'Emile, et il publia la "Lettre à M. de Beaumont", bien supérieure de style et de logique aux "Lettres écrites de la Montagne ", qu'il composa ensuite contre les ministres de Genève, et qui suscitèrent contre lui de nouveaux orages. Le pasteur de Montmollin voulut en effet l'excommunier et ameuta à tel point contre lui la populace de Moliers, qu'il fut encore une fois obligé de fuir. Il trouva un asile dans l'île de Saint-Pierre, située au milieu du lac de Brienne; mais au bout de quelques semaines, et dans une saison rigoureuse, un ordre du sénat de Berne vint tout à coup l'arracher aux paisibles occupations que déjà il s'était crées dans cette solitude, et le forcer de quitter le territoire dans les vingt-quatre heures. David Hume, l'historien anglais, lui procura les moyens de passer en Angleterre, et lui rendit d'importants services, sans négliger aucune des précautions nécessaires pour ne pas blesser un caractère aussi ombrageux et que le malheur aigrissait chaque jour davantage. Rousseau commençait à reprendre ses occupations favorites dans une maison de son goût et de son choix, située près de Wooton, dans le Derbyshire, lorsqu'un nouvel incident lui fit voir "toute l'Angleterre conjurée contre lui, et David Hume, avec ses complices, occupés à le faire périr à Wootton, de douleur et de misère". La cause de cette alarme et de la bruyante querelle qui en résulta, était une prétendue "Lettre du roi de Prusse" dans laquelle la manie du philosophe genevois de se croire persécuté du monde entier, était tournée en ridicule. Hume était étranger à cette plaisanterie, mais Horace Walpole, qui plus tard s'en avoua l'auteur, était son ami. Rousseau, qui d'ailleurs n'aimait pas l'Angleterre, quitta cette contrée en 1767, après un séjour de seize mois, et revint en France, où l'empressement avec lequel il fut accueilli eût dû le guérir pour jamais de ses sombres chimères. Le prince de Conti lui ayant offert un asile à son château de Trye, près de Gisors, Jean-Jacques y vécut pendant quelque temps sous le nom de "Renou"; mais il s'y crut bientôt environné d'espions, et le quitta pour aller herboriser dans les environs de Lyon, de Grenoble, de Chambéry, et parut enfin vouloir se fixer à Monquin, à une demi lieue de Bourgoin, où il épousa sa Thérèse en 1768. Après un an de séjour dans ce lieu, et plus que jamais poursuivi par ses tristes visions, il prit tout à coup la résolution de revenir à Paris, où ses amis obtinrent en 1770, que sa présence serait tolérée par l'autorité. Ce fut à la fin de 1772 et à la prière d'un noble polonais, le comte de Wielhorski, que Rousseau écrivit ses "Considérations sur le gouvernement de la Pologne ". Son incurable monomanie lui dicta ensuite quelques "Dialogues" dans lesquels il fait son apologie avec une verve et une fraîcheur de style qui n'accusent pas les glaces de l'âge. On peut en dire autant de ses "Rêveries", dont la dernière, restée incomplète, est consacrée au douloureux souvenir de Mademoiselle de Warens, qui depuis longtemps avait cessé de vivre, et que tant de vicissitudes n'avaient pu bannir de sa pensée. Cet homme, qui a pu dire avec tant de vérité "je me suis fait comme aucun de mes semblables", mourut le 3 juillet 1778, à Ermenonville, dans une terre de M. de Girardin. Diverses personnes, qu'on ne saurait suspecter de malveillance pour Rousseau, ont été induites, par la préoccupation des disparates de sa vie, à faire aussi un problème de la cause de sa mort; elles l'accusèrent d'avoir attenté à ses jours, appuyant cette accusation de détails qui semblaient devoir lui donner quelque consistance. Mais le procès-verbal des médecins et divers témoignages, non moins authentiques, ont prouvé que la mort de Rousseau fut naturelle, et cette opinion est aujourd'hui presque généralement admise. Il fut enterré dans l'île des Peupliers à Ermenonville; on y lit encore sur l'ancien tombeau de Jean-Jacques l'inscription suivante qui était sa devise : "Vitam impendere vero". Mais le 11 octobre 1794, ses cendres en furent enlevées, malgré les vives réclamations de Monsieur de Girardin, pour être déposées dans les caveaux du Panthéon, où elles sont encore avec celles de Voltaire. Sur son cercueil on lit : "Ici repose l'homme de la nature et de la vérité". Le caractère moral de cet homme célèbre, dit un de ses biographes, semble échapper à l'analyse. C'est un composé d'éléments si contradictoires qu'on est toujours étonné de les trouver réunis dans le même individu. Rousseau est néanmoins l'un des écrivains qui a le mieux peint son âme dans ses ouvrages, surtout dans sa "Correspondance familière". Il gagne à être pris sur le fait dans les épanchements de l'amitié, et, sous ce rapport, il a un grand avantage sur les autres philosophes. L'enthousiasme de ceux que Grimm appelle les "dévots de Jean-Jacques", en fait un homme accompli; une prévention contraire lui a prêté des traits hideux; il faut bien avouer les vices d'un homme qui s'est largement diffamé lui-même; mais on ne saurait lui contester quelques vertus dignes des temps antiques. Simple dans ses goûts, ennemi d'un vain luxe, sobre et désintéressé, il aimé mieux manquer du nécessaire que d'acheter du superflu au prix de son indépendance. Dans le temps que ses livres enrichissaient presque tous les libraires de l'Europe, il buvait de l'eau à l'un de ses repas pour se ménager de boire à l'autre un peu de vin pur. Avec une âme ardente et irascible, il ne connut point la jalousie et les petites vengeances si familières aux gens de lettres. Conspué par Voltaire, il lui rendit justice, et put le haïr sans jamais l'insulter. Doué d'une santé faible mais assez uniforme, il passe pour avoir été malade imaginaire, ce qui s'accorde mal avec son antipathie contre la médecine. Le travail lui était pénible, surtout dans le cabinet. Le mouvement de la promenade, l'aspect des champs et des forêts rendaient sa composition plus facile et plus féconde. Il était merveilleusement inspiré par le souvenir des lieux qui avaient été le théâtre des principaux événements de sa vie. Son imagination ne tarissait pas à décrire les Charmettes et l'île Saint-Pierre. Un arbre, un ruisseau, un rocher, témoins de son bonheur, obtenaient de lui une reconnaissance qu'il refusa trop souvent aux bienfaits des hommes.

Outre les ouvrages déjà mentionnés et sa "Botanique" (ouvrage orné de 65 planches en couleur, d'après les dessins de Redouté, Paris, 1805, in-folio ou in-4), Rousseau avait médité des "Institutions politiques", dont il publia seulement le résumé devenu si fameux sous le titre de "Contrat social". Dans son premier "Discours sur l'Inégalité des conditions", il se déclara contre la civilisation; et dans le "Contrat social", contre toute organisation politique existante. Cet ouvrage se réduit tout entier à cette idée, qu'il n'y a de souveraineté que la souveraineté de tous, et que cette souveraineté est toute puissante, c'est-à-dire toute justice; qu'elle ne peut se tromper, ou du moins que, se trompât-elle, son action doit être irrévocablement exercée; cette souveraineté ne peut être aliénée, ni partagée, ni représentée. Ce système subversif de toutes les doctrines politiques sur lesquelles repose la paix des nations fut le code des conventionnels qui firent placer le buste de l'auteur dans le lieu de leurs séances. Mais de tous les ouvrages auxquels Rousseau a attaché la célébrité de son nom, les "Confessions" sont sans contredit un des livres les plus singuliers que nous ayons eu en ce genre. "C'est, comme l'a remarqué monsieur Villemain, à l'époque où beaucoup de convenance sociales tombaient, où la société était usée, où elle se refaisait et se gâtait, où elle espérait ce qu'elle n'avait pas, où elle souhaitait autre chose que ce qu'elle avait; c'est à une époque de malaise et de fatigue sociale qu'un pareil livre a pu naître. L'esprit le plus original n'aurait pu le faire seul; il fallait que le siècle en fit partie... L'éloquent évêque d'Hippone, Saint-Augustin, fit également des "Confessions", livre curieux, original de voyages et de rêveries, l'un des plus singuliers qu'on ait écrits, et qui nous explique le problème de l'ancien monde mourant et renaissant, de la vieille société politique radotant, et de la société chrétienne, si pleine de vie et de raison, que le fer des Barbares avait pu arrêter un instant, mais qui se releva sous une forme nouvelle. De même, à une époque de rénovation moins complète, moins hardie, Montaigne a fait aussi des espèces de "Confessions"; seulement Montaigne est un esprit supérieur et insouciant qui se moque ou se vante même de ses faiblesses. Saint Augustin a écrit enthousiasme religieux, par une inquiète ardeur d'imagination. Montaigne a écrit par suffisance gasconne; sa confession n'est pas un acte d'humilité, c'est un acte de vanité; il se vante de certaines faiblesses, de certains caprices, comme il se vante d'avoir la gravelle, maladie, dit-il qui ne prend qu'aux personnes de haut lignage. Mais cette vanité de Montaigne est sceptique, insouciante. Rousseau a aussi écrit par orgueil, par un orgueil malade et troublé : ce n'est pas le repentir, c'est le remords de l'honnête homme fier, qui craint de s'être avili, qui remonte sur le passé, et qui cependant trouve une espèce de satisfaction orgueilleuse à montrer qu'au moins, s'il eut la faiblesse de pécher, il a la force d'avouer ce qu'il a fait, tandis que les autres hommes le cachent; ainsi, c'est dans la publicité de la faute que sa vanité en a trouvé la compensation.

Tel fut donc Rousseau, publiciste hasardeux; bizarre, erroné, souvent rétrograde et dangereux dans les conséquences qu'il n'avait pas prévues; moraliste inégal, mais admirable parce qu'il est plein d'enthousiasme et d'éloquence; habile controversiste, écrivain d'un coloris et d'un éclat presque inimitables... Maintenant, si nous cherchons ce qu'il a ajouté au trésor des idées nationales, comment il a enrichi la langue, quelle est son originalité, il me semble que ce sont deux choses : c'est le sentiment, le goût profond de la nature, de la nature vraie et prise sur le fait, ramassée dans les champs et dans les bois, si l'on peut parler ainsi, et en même temps le pathétique familier, le pathétique réfléchi de soi-même, cette mélancolie à la fois égoïste et passionnée, qui a fait la gloire de plusieurs écrivains de notre siècle : ce sont là les deux caractères, les deux types distincts du génie de Rousseau. En effet, avant lui vous voyez une littérature éminemment régulière et sociale, une littérature qui, en quelque sorte, fait partie de la hiérarchie même des pouvoirs de la société, qui était inspirée par une situation, par une dignité qui se liaient à toutes les convenances... De même que Bossuet et Racine, avec leur gravité, leur élévation, leur pompe, ont quelque chose d'assorti et de relatif à la personne de Louis XIV, de même que Boileau était né poète naturel de ce prince, régulier comme lui; de même, Voltaire était le poète, l'écrivain de cette cour licencieuse, corrompue, gardant les abus dont elle se moque, profitant des choses qu'elle ne croit plus. Il n'en est pas ainsi de Rousseau; il y a en lui quelque chose de solitaire, d'individuel, d'étranger; il parle de lui; il arrive d'ailleurs." De toutes les éditions des Oeuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau, on distingue celles de Lefèvre, avec notes de Petitain, 1819-1820, 22 volumes, in-8; de Lequien, 1821-1822, 22 vol. in-8. Il existe de nombreuses éditions postérieures à cette date.

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